Art & Culture

« Les Héroïnes » : Cléopâtre, dernière Reine macédonienne d’Égypte    

Longtemps perçue comme une « putain couronnée », l’histoire restaure l’image d’une grande intellectuelle. De figure sulfureuse, Cléopâtre est aujourd’hui reconnue comme diplomate et fine stratège. Voici le récit critique de la dernière Reine macédonienne d’Égypte.

Née vers 69 av. J.C à Alexandrie, ville et capitale d’Égypte antique, la Reine Cléopâtre VII Philopator est la dernière souveraine de la dynastie des Ptolémées, plus précisément, de la dynastie gréco-macédonienne lagide qui règna sur l’Égypte de l’an 320 à l’an 30 avant notre ère. Son prénom signifie littéralement en grec ancien « Qui aime son père » (Κλεοπάτρα Θεὰ Φιλοπάτωρ) ou encore Théa Néôtera Philopatris « Qui aime sa patrie » (grΘεὰ Νεωτέρα Φιλοπάτριϛ). Elle est l’une des trois filles connues du Roi Ptolémée XII Aulète, et peut-être d’une concubine.

Nourrie intellectuellement au musée et à la bibliothèque d’Alexandrie, de science et de littérature, dont les écrits d’Homère et des hauts faits d’Alexandre le grand, la Reine Cléopâtre grandira au sein de la cour et bénéficiera de l’enseignement de précepteurs cultivés. De ce fait, elle sera polyglotte. Elle parlait notamment outre le grec, l’égyptien, l’araméen, l’éthiopien, le mède, l’arabe, sans doute aussi l’hébreux mais également la langue des Troglodytes, un peuple vivant au sud de la Libye. On devine alors aisément qu’elle possédait les rudiments du latin.

Une fine tacticienne  

Le règne de la Reine Cléopâtre sera couplé avec celui de Ptolémée XIII et Ptolémée XIV qui, en réalité, étaient ses frères, mais lui feront office d’époux conformément à la tradition égyptienne. Elle prit le pouvoir entre 51 et 30 avant J-C, à l’âge de 17 ans avec son frère cadet Ptolémée XIII alors âgé de 10 ans, conformément au testament de leur père. Cléopâtre finira par être chassée d’Égypte par son jeune frère.

D’une beauté exceptionnelle, la Reine sera l’amante du général et homme d’État romain Jules César qui la rétablit sur le trône en l’an 47 avant JC. César sera aussi charmé, notamment par la voix de la jeune reine lorsqu’il la rencontra en – 48 à Alexandrie. Face aux désirs d’annexion d’Égypte du leader romain, Cléopâtre lui fit changer d’avis. Elle séjourna avec lui à Rome jusqu’à sa mort en l’an -44 et eut un fils de cette relation qu’elle nommera Césarion.

À la mort de César, Marc Antoine, figure politique et militaire, lui succéda. Lorsqu’il la rencontra sur les rives de Tarse en l’an -41, elle le séduisit par le faste qu’elle déploya et son entrée triomphale. Trois enfants : Alexandre Hélios, Cléopâtre Séléné et Ptolémée Philadelphe naîtront de cette union, toutefois mal perçue par le Sénat romain notamment manipulé par Octave, un autre prétendant à la succession de Jules César. En l’an -32, le rival de Marc Antoine déclara la guerre à la Reine.  

La bataille d’Actium   

À Actium, situé sur la côte occidentale du territoire de l’actuelle Grèce, eut lieu le 2 septembre de l’an 31 av. J-C, une grande bataille navale au cours de laquelle la Reine se tiendra aux côtés des troupes de Marc Antoine contre Octave. La bataille d’Actium se solda par la défaite du camp Cléopâtre-Marc Antoine. Pris d’une grande colère et pensant que Cléopâtre l’avait trahi, Marc Antoine se suicida. Octave marcha alors sur l’Égypte et assiégea Alexandrie.

Seule face aux Romains, Cléopâtre livra à Alexandrie une dernière bataille. Son ultime combat s’achèvera par une capitulation. Toutefois, pendant neuf jours, elle tentera de négocier une issue pour elle, l’Égypte et pour son fils Césarion, notamment une nouvelle alliance avec les Romains qui se heurtera au refus d’Octave, qui préféra plutôt exhiber sa victoire à Rome. Cléopâtre choisit de se donner la mort. Le 12 août en 30 av. J-C, elle se fit mordre par un cobra égyptien, le naja hajé, à elle apporté dans un panier de figues. La défaite de son camp favorisera la conquête romaine de l’Égypte. Ce fut la dernière guerre civile de la République romaine. Octave devint le nouveau Pharaon.

Symbole de l’histoire commune entre deux peuples  

La Reine Cléopâtre sera le symbole de la fusion entre deux peuples, l’un dominé, l’autre dominateur. En effet, les Romains tout comme les Grecs considérèrent les Égyptiens comme un « peuple barbare ».

Il faut dire que l’ancêtre de la Reine, Ptolémée fils de Lagos, était un ancien compagnon d’Alexandre le Grand. À la mort de ce dernier, Ptolémée conquit le territoire égyptien et devint Roi. Cléopâtre n’est donc pas égyptienne. Certains écrits, à l’instar de ceux de Plutarque, de Suétone et d’Appien, ne l’évoquent d’ailleurs que dans l’histoire de la Rome antique et non dans celle de l’Égypte antique. En 1998, l’écrivain français Michel Chauveau ira jusqu’à affirmer dans son ouvrage Cléopâtre, Au-delà du mythe, que lorsqu’elle sort de l’ombre des dirigeants romains, « elle sort de l’histoire ».

En effet, lorsque Cléopâtre accède au pouvoir, le royaume des Lagides se réduisait à l’Égypte. Bien que le territoire égyptien fut indépendant, la tutelle de Rome qui pouvait faire et défaire les rois, pesait toujours. L’une des priorités de Cléopâtre sera précisément de se libérer du joug romain. Durant son règne, elle œuvra à éloigner la menace d’une annexion de son royaume.

En outre, Cléopâtre se voulait Reine d’Égypte et non pas Reine de la seule Alexandrie. À l’opposé de ses prédécesseurs, elle renoua avec les rites pharaoniques qui se perdaient. C’est ce que laisse transcrire le prénom du fils qu’elle eut de César : « Ptolémée Césarion Horus fils de César Amon et de Cléopâtre Isis ». 

Une image dévoyée puis restaurée     

« On avait plaisir à entendre le son de sa voix ; sa langue était comme un instrument à plusieurs cordes qu’elle adaptait sans effort au dialecte qu’elle voulait ».

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres 

Il convient de préciser que la plupart des récits antiques évoquant Cléopâtre, la dépeignent en noir, car inspirés par son vainqueur et opposant, l’empereur Octave Auguste. À la faveur de cette thèse, de nombreux auteurs contribueront à renforcer son image de « putain couronnée ». Flavius Josèphe au premier siècle dira d’elle qu’« Elle fit d’Antoine l’ennemi de sa patrie par la corruption de ses charmes amoureux ». En d’autres termes, elle incarnerait une séductrice, la débauche et la luxure, synonymes de dangers pour les valeurs de la République et de virilité romaines. De nombreux poètes et historiens tels Horace et Eutrope seront à l’avant-garde de cette propagande augustéenne sur la Reine. Dans les « Vies parallèles des hommes illustres » de Plutarque, on entend Marc Antoine dire d’elle, qu’on « avait plaisir à entendre le son de sa voix ; sa langue était comme un instrument à plusieurs cordes qu’elle adaptait sans effort au dialecte qu’elle voulait ».

On retient de la Reine Cléopâtre qu’elle fut l’une des femmes les plus célèbres, sinon la plus célèbre ayant marqué l’antiquité. Si sa vie intime sera qualifiée de dévoyée, sa célébrité lui vient surtout de ses unions avec des hommes d’État romains.

Au-delà de cette réputation de Reine dévoyée qui a longtemps prévalu, orchestrée par la propagande romaine augustéenne, Cléopâtre aura le mérite de s’être imposée comme une Pharaonne, souveraine dans un monde qui ne concevait pas qu’une femme règne. La propagande relayée par le courant augustéen à son sujet sera à double tranchant : elle entraînera la prudence des historiens actuels autant qu’elle suscitera l’enthousiasme des dramaturges, romanciers et cinéastes occidentaux. Le couple qu’elle constituera avec Marc Antoine sera si célèbre qu’aujourd’hui, l’on ne peut prononcer le nom de l’un sans que celui de l’autre ne s’invite à l’esprit.

En réalité, le cliché sordide a continué jusqu’à aujourd’hui. Mais ce n’est que très récemment qu’il a été admis que la Reine courtisane était également une femme de tête, intellectuelle, politique et diplomate réfléchie. En effet, certaines sources autrefois négligées, notamment jusqu’à la fin du XIXe siècle, mettent plutôt l’accent sur la liberté de mœurs séculaire des femmes égyptiennes. Elles révèleront plutôt une femme de pouvoir et de passion, indépendante et déterminée.

Dotée de beaucoup de courage, elle se révélait suffisamment intelligente pour inquiéter les Romains. Ainsi, très tôt, déjà dès l’âge de dix-huit ans, son esprit était empli de la vision politique d’Alexandre le Grand, le héros fondateur de la ville d’Alexandrie. Son esprit diplomate n’en est pas moins aguerri. Son atout polyglotte lui permettait de pouvoir communiquer à la fois avec les gens de la province et avec les Alexandrins. Dans sa lignée, elle fut la première à parler Égyptien. Elle fut également la première à penser que l’Égypte ne pouvait se suffire à elle-même mais se devait de s’ouvrir au monde. Elle pariera sur Jules César puis sur Marc Antoine pour tenter de reconstituer les territoires du royaume.

Plus précisément, son aide à Antoine en l’an -37 fut stratégique lorsqu’il avait besoin de ses richesses pour financer et mener ses campagnes militaires orientales. Ceci permit à la Reine de reconstituer une partie du royaume de ses ancêtres, par le biais des donations de territoires faites par Antoine, qui réorganisa l’Asie mineure au profit de sa maîtresse. Enfin, si de son vivant, elle était déjà une légende, sa mort tragique rajouta à l’aura romanesque qui entoura son personnage.

Femme fatale, Égyptienne avide et cruelle, diplomate aguerrie, maîtresse et épouse des hommes les plus puissants de Rome, chacun pourra puiser dans son histoire et peut-être se reconnaître.

Maggy Lynn

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page