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« Les Héroïnes » : Harriet Tubman, la Moïse Noire

Figure quasi prophétique, Harriet Tubman, surnommée « Moïse Noire » libéra des centaines d’esclaves à travers un réseau clandestin de routes et abris. Découvrez l’histoire d’une femme de conviction et de combat.

Harriet Tubman, de son vrai nom Araminta Ross, est une Afro-américaine née esclave vers 1820 dans une plantation du Comté de Dorchester, situé dans l’actuel l’État du Maryland. À cette époque, l’esclavage était encore très courant et en constante évolution aux États-Unis malgré l’abolition de la traite transatlantique depuis 1808.

Black Moses ou Moïse Noire

À l’âge de 6 ans, Araminta travaille comme domestique dans les champs. Elle est déjà soumise à de très pénibles conditions. Louée pour s’occuper d’un bébé au cours de la nuit, elle devait veiller à ce que ce dernier ne pleure pas. Les lunes agitées du nouveau-né étaient synonymes de bastonnade pour Araminta. Elle grandit dans des conditions d’asservissement physique et moral inhumaines que lui firent subir les différents maîtres chez qui elle fut employée. Plus tard, en 1844, elle se maria à John Tubman, un Noir libre et prit le prénom de sa propre mère.

En 1849, victime de sévices corporels, notamment une grave blessure au visage suite à un violent coup à la tête porté par un contremaître, Araminta finit par s’enfuir à l’âge de 27 ans et acquis des aptitudes dont elle fera bénéficier des centaines d’autres esclaves. Dans son périple nocturne s’étendant sur 150 km, elle empruntait un réseau clandestin de maisons, tunnels, souterrains et routes, créés par des abolitionnistes Blancs et des Noirs « libres », permettant aux captifs de fuir le Sud esclavagiste des États-Unis vers le Nord abolitioniste, aujourd’hui surnommé Underground Railroad (Le Chemin de fer clandestin). Passant de maison en maison, elle achève son voyage à Philadelphie, ville stratégique du nord des États-Unis.

Libre mais triste, sa famille ainsi que son mari étant restés sur la plantation, Harriet prit la décision de retourner libérer ces derniers. Ainsi, Harriet rebroussa chemin pour sa famille à l’exception de son époux qui, la croyant morte pendant la traque organisée par son ancien maître suite à sa fuite, s’était entre-temps remarié. Via le Underground Railroad, Harriet guida de nombreux esclaves dans l’obscurité, les nuits de l’automne étant souvent plus longues.

« J’étais passée de l’autre côté mais il n’y avait personne pour m’accueillir sur cette terre de liberté, j’étais étrangère en cet étrange pays. Mon foyer après tout c’était le Maryland […] Tout le monde était là-bas. C’était décidé : je donnerais chaque goutte de mon sang pour qu’ils soient libres. »

À Philadelphie, Harriet travaillait comme cuisinière dans des hôtels et des clubs afin de financer la fuite d’autres esclaves. Vu comme providentiel et prophétique par sa communauté, son rôle de guide vers la liberté lui valut le surnom de Black Moses (Moïse Noire), en référence au personnage biblique hébreu Moïse qui libéra le peuple d’Israël du joug égyptien, mais aussi une mise à prix. À fréquence régulière d’une fois l’an et toujours à la fin de l’automne, à l’aide de chants codés, elle aidera à développer cet itinéraire qui facilitera l’accès à la liberté de nombreux esclaves, souvent par groupes de 10 à 11 personnes. Entre ses mains, aucun passager ne manquait d’arriver à Philadelphie. Harriet elle-même ne sera jamais prise. Elle rencontra d’autres abolitionistes de renom comme Frederick Douglass, Thomas Garrett et Martha Coffin Wright et développa son propre réseau clandestin.

Statue érigée à Philadelphie pour le 200e anniversaire de sa naissance

En 1850 cependant, une nouvelle loi dénommée Fugitive Slave Act (Loi sur les esclaves fugitifs), permit aux propriétaires d’esclaves du Sud des États-Unis de récupérer leurs esclaves réfugiés au le Nord du pays. Harriet dirigea le réseau et dans un tel contexte, prit la tête d’un mouvement d’émigration de nombreux esclaves vers le Canada où elle-même s’installa.

« Quand j’ai franchi la frontière, j’ai regardé mes mains pour savoir si j’étais bien la même personne. Il y avait une telle lumière, une telle joie répandue sur tout le paysage. »

Activiste anti-raciste et féministe

À la guerre de sécession de 1861, Harriet se fera enrôler dans les troupes de l’Union. Elle s’installa à Beaufort dans l’état actuel de la Caroline du Sud où se réfugièrent les esclaves du Sud en fuite. Elle jouera un rôle d’espionne pour l’Union dès 1862.

Clôturant la Guerre de Sécession qui opposa, sur de nombreux sujets, le Nord et le Sud, notamment sur la question de l’esclavage, l’année 1865 marquera l’abolition de l’esclavage. Harriet orienta alors son engagement vers le combat en faveur de meilleures conditions pour le peuple Noir. Antiraciste, elle militera également pour le droit de vote des femmes.

Elle meurt le 10 mars 1913 à près de 93 ans, dans la maison pour nécessiteux Noirs qu’elle fonda à Auburn, situé dans l’État d’Alabama.

Un symbole d’altruisme             

La libération des esclaves Afro-américains, la lutte contre le racisme en général, mais également le combat féministe seront les grandes quêtes de son existence. La vie de cette ancienne esclave fut dédiée à un mieux-être des marginalisés, fussent-ils noirs de peau ou femmes dans une société dominée par les hommes blancs. Son ingéniosité dans l’histoire des chemins de fer américains est aujourd’hui établie. En outre, son activisme fit de nombreux émules parmi les Noirs américains.

Les États-Unis honorent sa mémoire, notamment avec le Mémorial Underground Railroad qui lui est dédié dans l’État du Maryland, son inscription au National Women’s Hall of Fame ou encore le baptême d’un l’astéroïde découvert en 2010 du nom « Tubman ». Le cinéma ne sera pas en reste. En 2019, le réalisateur Kase Limmons lui consacrera un long métrage, simplement intitulé « Harriet ».

Film « Harriet » incarnée par l’actrice Cynthia Erivo

Depuis 2015, son portrait vient en tête des sondages parmi les figures féminines devant figurer sur le billet de 20 Dollars américains faisant ainsi d’elle, la première femme Noire et la troisième femme devant apparaître sur un billet de banque. Le projet sera reporté par Donald Trump en 2020 avant d’être relancé par Joe Biden en janvier 2021. Aux États-Unis, le 10 mars est chômé en sa mémoire.

Maggy Lynn

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