Ce 21 février marque les 57 ans de sa mort. Malcolm X a été fauché à 39 ans par l’alliance d’extrémistes musulmans, de la police de New York et du FBI. Il avait alors été rebaptisé Malik el-Shabazz. Mais avant Malcolm X, il y eut Malcolm Little. Retour sur les vies du leader Afro-américain.
Ses trois noms distinguent trois actes de sa vie. Une trilogie qui sied au personnage complexe, voire romanesque qu’incarne Malcolm X, ainsi que la postérité préfère se le remémorer.
Malcolm Little, 1925-1950
Quatrième d’une fratrie de sept, Malcolm Little a été brisé par la mort de son père, officiellement, dans un accident de la route, officieusement, sauvagement assassiné par des suprémacistes blancs. Disciple du leader panafricaniste Marcus Garvey et militant actif de la Universal Negro Improvement Association (UNIA), dans une Amérique ouvertement raciste, Earl Little portait une cible sur sa poitrine. La disparition de la figure paternelle entraina la dislocation de la famille Little, écartelée dans plusieurs foyers après l’internement de sa mère Louise Helen Little dans un hôpital psychiatrique. Redoutant la douleur que lui infligerait sa vue, Malcolm n’ira jamais lui rendre visite. Lui et ses frères obtinrent sa sortie 24 années plus tard.
Elève brillant, collectionnant les bulletins excellents et ce, sans grand effort, Malcolm désirait devenir avocat. Au lycée, il décide de confier son rêve à un professeur dont la réponse change le cours de sa vie. Mal lui en prit. « Irréaliste pour un nègre », lui répond l’enseignant, essayant « pour son bien » de le détourner d’un chemin au bout duquel il estime que Malcolm n’a aucune chance d’aller. L’homme, blanc, lui conseille plutôt de penser à un métier manuel comme celui de charpentier. Étourdi par la violence de l’entretien, Malcolm y laisse une partie de lui. Sa demi-sœur, Ella, récupère alors un adolescent qui a perdu tout intérêt pour ses études et apprend à défier l’autorité. Il vit quelques temps avec elle à Boston où il découvre la frénésie de la vie urbaine, avant de mettre pied à New York. Malcolm intègre le ghetto noir de Harlem et, de petits boulots en petits boulots, bascule dans la délinquance. Entre racket, trafic de stupéfiants et vols, Malcolm, à la chevelure désormais défrisée et rousse, gagne le titre de hustler. Vivant au jour le jour de la « manne » de ses activités illégales, Malcolm sombre, évite de justesse la mort à plusieurs reprises. À la tête d’un gang de voleurs, notamment composé de sa petite-amie blanche, Malcolm se fait repérer par la police alors qu’il essaie de refourguer un objet volé, signalé par sa partenaire. Il écope de 8 à 10 ans de prison. 2 pour les larcins (peine habituelle pour les premiers délits) et 6 à 8 pour avoir osé entrainer avec lui une fille blanche… Il avait seulement 19 ans.
Malcolm X : 1950-1964
En ses propres termes, Malcolm estime que la prison lui a sauvé la vie, autrement vouée à se consumer sur le bitume des rues de Harlem. En prison, il devient un avide lecteur, échaffaude tous les plans possibles pour être placé en isolement afin de trouver la quiétude nécessaire à sa quête de savoir. Avec 15 heures de lecture par jour, même la nuit, au sol, sous le léger jet de lumière qui traverse la porte de sa cellule, la qualité de sa vue y passe. Il devra porter des lunettes pendant le reste de sa vie. Malgré l’iniquité de sa peine, la prison devient un espace de renaissance, la source de son érudition et de son éloquence. Mais il sent déjà, au plus profond de lui, qu’il mourra d’une mort violente et prématurée, une sorte de malédiction qui « court dans sa famille », estime-t-il.
Par l’entremise de ses frères, il est initié aux préceptes de Nation of Islam, une version hérétique de l’islam orthodoxe dirigé par son « prophète », Elijah Muhammad. Enseignant aux noirs américains qu’ils sont un peuple élu qui doit revenir à la « religion naturelle de l’Homme noir », se séparer de l’Homme blanc décrit comme le « diable » et que le Mahdi (Messi des musulmans) a déjà visité l’Humanité (en la personne du mentor d’Elijah Muhammad, Wallace Fard Muhammad), Nation of Islam est le rejeton, le produit dérivé de l’Amérique raciste et ségrégationniste.
Malcolm Little devient Malcolm X, en rejet du nom hérité du slavemaster (propriétaire d’esclaves). Remit en liberté conditionnelle après 6 années d’incarcération, Malcolm X se met au service de Nation of Islam dont il devient le leader le plus actif, fécond (en nombre de disciples, d’ouverture de temples et en résultats dans les oeuvres sociales), mais aussi le plus célèbre. Il se marie à Betty Sanders, de son nom de jeune fille, avec qui il aura 6 enfants, toutes des filles. Charismatique et influent, il devient notamment le coach spirituel de Cassius Clay (Mohamed Ali), permettant au boxeur de trouver les ressources mentales pour vaincre Sonny Liston et devenir champion du monde des poids lourds en 1964. Malcolm X est aussi invité à l’ONU où il rencontre des leaders comme Fidel Castro, Sékou Touré ou Nasser. Plusieurs lui offriront plus tard des postes officiels dans leurs gouvernements respectifs.
L’attention publique dont il jouit causera sa rupture avec son mentor, Elijah Muhammad qui, utilisant une maladresse de Malcolm (en réaction à l’assassinat du président Kennedy) comme prétexte, le suspend de ses fonctions. Malcolm n’est pas dupe. Il sait que cette suspension ne sera jamais levée. Troublé par sa mise au ban, il s’autorise pour la première fois à porter un regard différent sur des rumeurs qui ne cessaient de lui parvenir sur le comportement d’Elijah Muhammad. Ses craintes sont confirmées par Wallace, le fils d’Elijah Muhammad. Le « prophète » a eu plusieurs enfants avec ses secrétaires.
Malik el-Shabazz : 1964-1965
Brisé par la faillite morale de son mentor et rejeté par sa famille spirituelle, Malcolm X a besoin de force et d’une nouvelle direction. Il entreprend alors un pèlerinage à La Mecque au cours duquel il se converti à l’islam sunnite. Ce voyage change sa perception de la relation entre communautés (races). Imprégné de l’enseignement universaliste de l’islam orthodoxe, il commence à croire que certains Blancs sont bons et en la possibilité que Noirs et Blancs puissent vivre ensemble, même maritalement. Malcolm X traverse plusieurs pays d’Afrique dont le Ghana où il est accueilli par un comité « Malcolm X », notamment dirigé par la poétesse américaine Maya Angelou, qui vivait alors à Accra. Partout sur le continent, il est reçu avec les plus grands honneurs, par ses dirigeants comme par ses plus simples citoyens. Malcolm X devient Malik el-Shabazz. Déchu de son rang de prédicateur par Nation of Islam, il est désormais libre d’assumer son rôle de leader de la cause des Afro-américains.
Le retour au États-Unis n’en sera que plus brutal. Menaces de mort de la part des disciples de Nation of Islam, harcèlement médiatique, mauvaise foi des journalistes qui ne cessent de détourner ses propos, Malcolm sera soumis à une intense pression psychologique. « Aucun homme noir n’a été aussi tourmenté par l’angoisse », écrit-il dans ses mémoires où il confie qu’il marchait comme un homme mort. L’explosion de sa maison, à laquelle sa famille échappe miraculeusement, sera l’ultime avertissement de ses ennemis. Il est tué le 21 février 1965 alors qu’il venait de monter sur l’estrade pour s’adresser à l’Organisation de l’Unité Afro-américaine.
En novembre 2021, deux hommes condamnés pour son meurtre sont innocentés. Il s’agit de Muhammad Aziz, âgé de 83 ans et sorti de prison en 1985, et de Khalil Islam, libéré en 1987 et mort en 2009. Alors qu’il était surveillé par la police de la ville de New York et par le FBI à la fin de sa vie, ces deux services sont, sinon activement impliqués dans son assassinat, du moins complices des tireurs.
Teria News