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L' »Eco » de l’UEMOA ne sera pas la monnaie unique de la CEDEAO

2020 amorcée, retour sur la temporalité courte de l’adoption de l’Eco par 8 des 15 pays membres de la CEDEAO le 21 décembre 2019.

Samedi 21 décembre s’est tenu le 56e sommet ordinaire de la CEDEAO à Abuja en présence des chefs d’Etat des 15 pays membres de l’organisation sous-régionale. Les discutions au Nigéria ont essentiellement porté sur la création d’une monnaie commune, symbole d’intégration sous-régionale, mais aussi, et d’aucun diraient surtout, d’émancipation économique et monétaire des 8 pays appartenant à la zone franc de l’UEMOA, soit, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.

L’avènement de l’Eco comporte une dimension technique et une dimension émotionnelle, en particulier pour les pays de la zone franc. Successeur du franc CFA vomit par des opinions publiques en mal de souveraineté, pour lesquelles il cristallisait l’inféodation, l’aliénation et par conséquent, l’humiliation institutionnalisée de leurs identités collectives, l’Eco se révèlera-t-il à la hauteur de leurs espoirs? Si la mort du franc CFA, à placer au seul actif de la mobilisation d’une kyrielle de mouvements panafricanistes est pour le moins une étape symbolique, jauger sa réelle portée invite à observer le contexte immédiat de son adoption.

Comme il en a pris l’habitude depuis sa prise de fonction en 2017, le président français Emmanuel Macron s’est rendu en Afrique fin 2019. Après le Niger en 2017 et le Tchad en 2018, Emmanuel Macron a séjourné pendant deux jours en Côte d’Ivoire du 20 au 22 décembre. Quand que le président français arrive le vendredi 20 à Abidjan, son hôte Alassane Ouattara s’absente quelques heures le lendemain pour se rendre au 56e sommet de la CEDEAO à Abuja. Rentré le même jour, il s’exprime aux côtés de son homologue français et annonce la fin du franc CFA. Rarement a-t-on vu un chef d’Etat en visite officielle être ainsi abandonné par son homologue. Pendant qu’il fait face à une contestation sociale interne massive contre sa réforme du système de retraites, et alors en pleine négociation avec les cheminots français d’une trêve de Noël pour permettre aux familles de se réunir à temps pour 25 décembre, comment comprendre qu’Emmanuel Macron ait délaissé ce qui est considéré comme un des plus grands défi de son premier mandat, pour se rendre en Afrique de l’ouest? Et ce, malgré l’indisponibilité du président Alassane Ouattara?

L’incongruité diplomatique et protocolaire du déroulé de cette visite, conjuguée au moment auquel elle est intervenue, que ce soit au regard de la fournaise sociale qu’était en cette fin d’année 2019 l’Hexagone, ou au regard de la tenue le samedi 21 décembre du 56e sommet ordinaire de la CEDEAO, ne peut que nous renseigner sur le caractère hautement stratégique de la présence d’Emmanuel Macron sur le sol ivoirien, ainsi que sur le caractère calculé de la rencontre avec Alassane Ouattara vendredi 20 décembre. Compte tenu de ce qui précède et de la réputation du président ivoirien comme proche de la France, une interrogation s’impose: les deux dirigeants avaient-ils des points de convergence à affermir avant ce sommet?

Autre indice que la cuisine comme l’adoption de la nouvelle monnaie unique de l’UEMOA ne se sont peut-être pas faites sans Paris: la forme troublante de la déclaration conjointe d’Emmanuel Macron et Alassane Ouattara au retour de ce dernier d’Abuja. Alors que pour tenter de pallier aux suspicions qui l’entourent, l’annonce de l’Eco aurait dû être présentée comme une deuxième déclaration d’indépendance, Alassane Ouattara en laissant Emmanuel Macron énoncer lui-même les principales modifications entérinées, telles que la suppression du « mécanisme des comptes d’opération », ou la fin de la « centralisation obligatoire des réserves de change en France », a donné à la France le premier rôle. De plus, des propos tels que « Nous y mettons fin », ont permis à la France de se placer au centre de cette nouvelle page d’histoire, mais ont peut-être aussi, l’orgueil précédant la chute, trahit qu’elle demeure, autant que faire se peut, à la manœuvre.

Espoir et scepticisme croissant entourent l’adoption de l’Eco. Des dissensions entre les deux zones monétaires de la CEDEAO, à savoir l’UEMOA et la ZMAO (Nigéria, Ghana, Sierra Leone, Libéria, Gambie et Guinée-Conakry), dont le projet de fusion au sein de la CEDEAO se fragilise, ont éclaté au grand jour avec le communiqué publié à l’issue de la réunion extraordinaire des ministres des finances et gouverneurs de banques centrales des pays membres de la ZMAO le 16 janvier. L’Eco du 21 décembre, c’est désormais clair, ne sera pas la monnaie unique de la CEDEAO, contrairement à l’annonce tonitruante d’Emmanuel Macron et Alassane Ouattara. Pour les peuples de la CEDEAO, l’intransigeance de la ZMAO, emmenée par le leadership nigérian, apparait être l’unique garantie d’assister à une véritable réforme monétaire dans la sous-région.

Wuldath MAMA

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