Art & Culture

Ni chaînes, Ni maîtres, l’histoire invisibilisée du marronnage

Ils n’ont pas attendu 1848 pour se libérer des liens de l’esclavage. Témoignage de l’esprit irréductible des ancêtres déportés loin de leurs terres, les Marrons défiaient les hommes, les lois et l’inconnu pour la Liberté. Simon Moutaïrou retrace leur histoire, encore méconnue, dans son film Ni chaînes, Ni maîtres.

Ni chaînes, Ni maîtres est un récit puissant sur la rébellion des esclaves et leur libération par eux-mêmes. Le long-métrage relate cet élan intrinsèque à l’humanité en chacun de nous, bien qu’en certains encore aujourd’hui dénigré, vers la liberté. Les Marrons, ces anciens esclaves ayant rompu avec leur condition et franchi le Rubicon de l’aller-simple vers la liberté, défiaient l’institution de l’esclavage alors qu’elle battait son plein.

Loin des plantations, souvent sous l’abris complice offert par les milieux sauvages et l’altitude, ils formaient des sociétés autonomes et auto-suffisantes. Une trajectoire empruntée à grand péril par Massamba et Mati en 1759 sur l’Isle de France (aujourd’hui Île Maurice).  

Le marronage selon Massamba et Mati

Massamba, renommé Cicéron par le maître à cause de sa maîtrise de la langue française et sa fille Mati sont des Wolofs originaires du royaume du Cayor. Mati est rebelle, plus lucide que son père sur leur réelle condition dans la plantation de canne à sucre d’Eugène Larcenet. Alors que Massamba voit en sa position de superviseur et en une éducation en Français un marchepied pour sa fille vers l’affranchissement, Mati elle, à l’image de son rejet du nom francophone donné par son père (Colette), refuse de courber l’échine en se satisfaisant d’une condition qu’elle sait précaire. C’est que contrairement à Massamba, Mati a conscience que rien ne la sépare de ses compagnons de chaîne sur la plantation. Si le père rêve d’intégration pour sa fille, les pensées de Mati, elle, la porte vers ce lieu dont les esclaves murmurent le nom, la plupart sans y croire vraiment, comme celui d’une chimère, produit du délire d’êtres en quête d’espoir au-delà des chaînes et si possible dans cette vie. Un village d’esclaves auto-affranchis.

Les évènements donneront raison à la jeune fille avec la disgrâce soudaine de Massamba. Adieu leurs privilèges, Mati est alors sommée de quitter la case de son père pour se présenter dans la maison du maître. Or, le traitement des esclaves de maison de sexe féminin ne fait aucun mystère… Refusant de contempler le droit de cuissage que ne manquera pas d’exercer le maître sur son corps, Mati prend la fuite. Massamba brise ses chaînes à sa recherche. Entre eux deux s’érigent la forêt, les éléments hostiles, mais surtout les chasseurs d’esclaves et leurs chiens entrainés à la chasse à l’homme.  

Marronage et survie dans une quête éperdue de liberté

« Instinctivement, je savais que mon premier film traiterait de l’esclavage. Avec du recul, je comprends que cet appel venait de loin. Adolescent, j’ai été profondément marqué par une vision : celle d’une immense porte de pierre rouge face à l’océan. Elle se dresse sur le rivage de la ville côtière de Ouidah, au Bénin, le pays de mon père. Elle se nomme La Porte du Non-Retour. C’est ici que des familles entières étaient arrachées au continent et déportées vers des horizons inconnus. », Simon Moutaïrou, réalisateur de Ni chaînes, Ni maîtres.

« Le désir d’un film sur des marrons, ces esclaves fugitifs qui ont eu le courage de briser leurs chaînes s’est ensuite précisé. Mais au-delà du sujet, il me fallait une arène. À l’occasion d’un séjour à l’île Maurice, je découvre l’existence du Morne Brabant. Un monolithe de 500 mètres de haut, face à la mer. Une créole vivant au pied du massif me raconte l’histoire du site : comment, au XVIIIe siècle, les esclaves fugitifs se sont rassemblés à son sommet, comment ils ont retrouvé une dignité, une fierté, un bonheur fragile qu’ils avaient perdu depuis des années », explique encore le réalisateur.

Simon Moutaïrou signe un film, encore trop rare dans la francophonie, sur le marronage. Mais à travers cette trame aussi historique qu’individuelle, le réalisateur évoque également l’amour paternel capable de braver tous les obstacles, la solidarité entre esclaves et la spiritualité.

Wuldath Mama

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