Longtemps oubliée, elle se tenait pourtant aux côtés de Senghor et Césaire aux balbutiements du concept de « Négritude ». Paulette Nardal recevait le gratin intellectuel Antillais, Africain et Afro-Américain dans son salon littéraire parisien. Qui était cette femme de lettres, au cœur des mouvements intellectuels Noirs majeurs de son époque ?
Elle fut journaliste, écrivaine, activiste, professeure d’anglais, pionnière de la Négritude et même musicienne. Paulette Nardal nait le 12 octobre 1986 en Martinique dans une famille aisée. Première génération d’hommes libres de sa famille, ses parents appartenaient à l’élite scientifique et intellectuelle de l’île. Son père, Paul Nardal, fut le premier Martiniquais noir ingénieur des ponts et chaussées et sa mère, Louise Achille était institutrice et professeure de piano. Paulette est élevée dans la conscience noire, tout en baignant dans les références classiques occidentales.
Une référence « géographique » et intellectuelle parisienne
Elle suit le chemin de sa mère et devient à son tour institutrice. Mais cette étape ne représentera qu’un tremplin dans son parcours. À 24 ans, sa formation à peine terminée, elle embarque pour la métropole. Une fois à Paris, elle et sa sœur Jeanne seront les premières femmes Noires inscrites à la Sorbonne, respectivement en Anglais et Littérature. Paulette y soutient sa thèse sur l’écrivaine et abolitionniste américaine Harriet Beecher Stowe, auteure de La Case de l’oncle Tom.
Avec ses sœurs Jane et Anne, elle anime un salon littéraire au 7 rue Hébert à Clamart, dans le sud de Paris, pour promouvoir l’« internationalisme noir ». Ils venaient des Antilles (Félix Eboué, René Maran), d’Afrique (Léopold Sédar Senghor) et même d’Amérique du Nord (Langston Hughes et Claude Mac Kay) : toute la jeunesse Noire lettrée et cultivée vivant ou de passage à Paris fréquente l’appartement des sœurs.
« Césaire et Senghor ont repris les idées que nous avions brandies et les ont exprimées avec beaucoup plus d’étincelles… nous n’étions que des femmes ! Nous avons balisé les pistes pour les hommes », Paulette Nardal
En 1931, Paulette crée, avec le médecin d’origine haïtienne Léo Sajous « La Revue du monde noir », une revue bilingue (français / anglais) qui synthétise les conversations de son salon et pose les bases du mouvement de la Négritude. Chacun des 6 numéros publié est composé de poèmes, revues de presse et de réflexions sur ce que signifie être Noir dans des sociétés coloniales, un monde dominé par les empires coloniaux et l’Amérique ségrégationniste, notamment avec des contributions du mouvement culturel Afro-américain Harlem Renaissance. En 1935 elle signe un article dans L’Etudiant Noir, co-écrit par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, aux premières heures de l’articulation du concept de « Négritude ». Paulette Nardal est pionnière dans l’élaboration d’une théorie mêlant conscience et fierté noire dans un contexte de domination blanche. En cela, et en vertu de son influence dans les cercles intellectuels et estudiantins noirs du Paris des années 1930, a apporté une contribution majeure au concept de Négritude, pourtant attribué exclusivement à ses camarades masculins.
Militante politique et culturelle de retour en Martinique
« Elles ont voulu être des intellectuelles. C’était en fait un domaine réservé aux hommes. Alors on ne leur permettait pas d’entrer dans ce terrain qui les fascinait », Maryse Condé à propos de Paulette Nardal et ses sœurs
Rentrée en Martinique pendant la Seconde Guerre mondiale, Paulette s’engage politiquement au sein du Rassemblement féminin après l’élargissement du droit de vote aux femmes. Elle y encourage ces dernières à s’impliquer dans la vie publique et partage ses idées dans La femme dans la cité, le nouveau journal qu’elle crée. Paulette Nardal représente les Antilles à l’Organisation des nations unies à New-York pendant 18 mois avant de se consacrer à la musique en popularisant notamment le Negro Spirituals (gospel qui puise ses sources dans l’âme des esclaves Afro-américains) en Martinique.
Elle s’éteint le 16 février 1985 à 89 ans. Le temps aura presque effacé son nom et son rôle dans l’histoire intellectuelle noire. Bien qu’ayant participé à éluder son influence, Senghor écrira d’elle : « Elle nous conseillait dans notre combat pour la résurrection de la négritude ». Elle fut tout de même honorée par Aimé Césaire qui a fait graver son nom sur une place de Fort-de-France. À Paris, une place au nom de Paulette et Jeanne Nardal a été inaugurée en 2019.
Naledi Simth