Elle sera exhibée dans une cage, comme une bête de foire, pour ses formes et son intimité protubérante. La Sud-africaine Sawtche ou Sarah Baartman, rebaptisée « Venus Hottentote » par ses bourreaux, personnifie la cruauté du suprémacisme blanc. Voici son histoire.
De son vrai nom Sawtche, surnommée la Venus Hottentote, Sarah Baartman est née esclave vers 1788 dans les abords du fleuve Gamtoos situé dans le Cap oriental, une province du sud-est du territoire de l’actuelle Afrique du Sud. Elle est le fruit d’un métissage entre deux ethnies : « San » du côté de sa mère et « Khoïsan » de par son père, tribu considérée comme la première à avoir occupé la partie australe du continent.
De Sawtche à Sarah
Dès leur jeune âge, Sawtche ainsi que ses trois frères et deux sœurs, seront réduits en esclavage par les fermiers Boers. D’abord esclaves appartenant à un Baas (terme désignant le maître ou le patron en Afrikaans) nommé Peter Caesar, ils vivaient non loin de la ferme de ce dernier dans un kraal, première structure sociale et économique de certaines régions africaines de l’époque. En raison des traditions chrétienne puis coloniale, Sawtche sera baptisée du prénom Saartjie, diminutif de Sarah par son maître, son vrai nom étant méconnu.
Avec ses deux sœurs en 1807, elles seront par la suite objets d’une transaction. Elles furent notamment échangées contre de l’eau de vie et du tabac, ce qui les fera atterrir à la ferme voisine, celle du frère de leur maître : Hendrik Caesar. Sarah sera mariée à un Khoïsan comme elle. Deux enfants naîtront de cette union.
De Sarah à la Venus Hottentote
En 1810, Alexander Dunlop, chirurgien militaire en visite à la ferme des Caesar remarquera la morphologie particulière de Sarah. Elle souffrait en effet d’une stéatopygie c’est à dire d’une hypertrophie des hanches et des fesses, mais également d’une macronymphie se matérialisant par des organes génitaux protubérants. En fin de carrière et profilant une baisse de ses revenus à l’horizon, Dunlop voit en Sarah le moyen de conclure une affaire juteuse. Il décide de tirer profit de sa prétendue sauvagerie en l’exhibant comme échantillon aux zoos humains alors à la mode en Europe. Après le plaidoyer du maître Hendrik Caesar, ils embarquèrent le 7 Avril 1918 pour l’Angleterre à bord du HMS DIADEM. Sarah accepta car convaincue par son maître qu’elle y fera fortune en dansant et en exhibant son corps. En septembre 1810, Sarah arrive à Londres où elle devient un véritable phénomène de foire suscitant l’étonnement et la curiosité du public.
Sarah sera exposée comme une bête de foire dans une cage où elle apparaissait sur Piccadilly Street, exhibant son corps et son anatomie sous les regards aussi humiliants que moqueurs des Londoniens. On la traitera de Fat bum (grosse fesses). C’est également dans ces conditions que son surnom moqueur « Venus Hottentote » lui sera lancé. Plus aguicheur, ce dernier aura plus d’écho.
Une tournée européenne
Le 24 novembre 1810, l’African Association chargée de l’exploration européenne de l’Afrique intente un procès à Hendrik Caesar en l’accusant d’exploitation et d’exposition indécente en violation de l’abolition de l’esclavage de 1807. Toutefois, au cours du procès, Sarah affirma ne pas agir sous la contrainte. Son ancien maître la fit alors passer pour une artiste. Dunlop manigança pour lui faire signer un contrat selon lequel elle percevrait en retour d’une rémunération. Mais en réalité, rien n’y fit. Le procès se solda par un non-lieu.
Le 9 décembre 1811, Sarah fut baptisée avec l’autorisation spéciale de l’évêque de Chester à la cathédrale de Manchester sous le nom européen de Saartjie Baartmaan en référence à la barbe de Hendrik.
L’exposition de son corps se poursuivra par la suite dans le nord de l’Angleterre et en Irlande. Mais le public anglais sera lassé par ce spectacle. Sarah doit alors quitter le pays. La tournée humaine se poursuivra en Hollande, puis en France dès Septembre 1814.
Elle sera exploitée par Henry Taylor, un organisateur de tournées, ensuite par Réaux, montreur d’animaux exotiques de zoos qui exigera 3 Francs pour pouvoir la voir et plus pour la toucher dans les cabarets. Elle sombrera dans la prostitution et deviendra objet sexuel dans les « belles soirées » aristocrates parisiennes. Enfin, elle se noiera dans l’alcoolisme.
Sarah Baartman, objet d’étude pour la science
Le phénomène de la Vénus Hottentote ne laissera pas la science indifférente. Elle fut en amont, l’objet d’étude du Professeur de zoologie et administrateur du Musée national d’histoire naturelle de France Étienne Geoffroy Saint-Hilaire qui exprima le désir d’examiner « les caractères distinctifs de cette race curieuse ». Il conclura qu’elle est le spécimen d’une race nouvelle et inférieure, proche des singes et orangs-outangs. Sorti le 1er avril 1810, son rapport laissa entrevoir une similitude et des traits plus prononcés entre le museau de l’orang-outang et le visage de Sarah. Mais encore entre « la taille de ses fesses » et les mamelles de guenons en mensurations.
D’autres scientifiques à l’instar du zoologue et spécialiste de l’Anatomie comparée Georges Cuvier, vont aussi s’intéresser à l’étude de la « race de Sarah ». Si Sarah se laissa examiner par ce dernier, elle marqua un refus à l’examen de son « tablier génital ». Ceci suscita la colère de Georges Cuvier. Naturaliste zoologiste, François Peron quant à lui, estime être le seul à avoir pu examiner les parties génitales de Sarah de son vivant et affirme y avoir découvert un organe spécifique à sa race. L’art n’en sera pas épargné. Sarah sera exposée devant des peintres qui en feront le portrait à nu au jardin du Roi en 1815.
Vivant dans un taudis et dans des conditions sordides, Sarah décède le 29 décembre 1815, probablement d’une pneumonie aggravée par la variole et la syphilis, selon l’autopsie de Cuvier. Un autre diagnostic post mortem de Cuvier évoque plutôt l’alcoolisme comme cause du décès.
Atteinte à son intégrité physique et désacralisation de son corps post mortem
Le Professeur Cuvier poursuivra ses recherches sur le cadavre de Sarah dont il fera un moulage de plâtre, puis en tira une statue peinte représentant Sarah debout. De ses recherches, il ressort qu’elle appartiendrait à une race inférieure. Il entreprit alors de la disséquer pour le compte du progrès de la science. Il gardera le cerveau et les organes génitaux dans des bocaux de formol. Les résultats de ses travaux seront exposés à Paris en 1817 devant l’Académie Nationale de Médecine. Selon ses analyses, le moulage en plâtre du corps de Sawtche est la preuve de la supériorité de « la race blanche ».
Devoir de mémoire
À la lumière de l’époque moderne, l’histoire de la Vénus Hottentote évoque une cruauté indicible et une atteinte à la dignité humaine. Elle est la preuve sans ambages de ce que la race noire fut considérée par les civilisations occidentales comme inférieure aux autres mais surtout comme étant proche de certaines espèces animales. En d’autres termes, plusieurs siècles après, la vie de Sawtche, dite Sarah, témoigne de la propagation massive, dans les consciences des populations occidentales à une certaine époque, de ce que la race noire n’appartenait pas au genre humain. Rappelons que Cuvier et Saint Hilaire sont considérés comme des références dans l’histoire des sciences, non seulement en France, mais également dans le monde occidental en général.
Cependant, il est aujourd’hui bien établi que les théories racistes et les préjugés concernant l’infériorité de la race noire ont fortement influencé les travaux de ces scientifiques sur la constitution physique et anatomique de Sawtche et qu’outre les différences anatomiques des diverses communautés humaines, seule la cruauté peut justifier de tels résultats dits scientifiques. La statue et le squelette de Sawtche seront exposés dans de nombreux musées, lieux de recherche et présentés au public, notamment au Musée de l’Homme à Paris de 1817 à 1994, année de la fin de l’apartheid.
Le retour des restes de Sarah
L’apartheid marquera un mouvement porté par des Khoisans qui exigeront pour Sawtche une sépulture afin lui rendre sa dignité. Des artistes, écrivains et citoyens sud-africains vont se joindre à cette mobilisation. Dans un premier temps, la France refusera leur requête au prétexte que le corps de Sawtche appartenait à la France depuis 212 ans, ceci notamment sous l’influence du monde scientifique français au nom du caractère inaliénable du patrimoine français.
Le 6 Mars 2002 la loi sur la restitution sera votée par le parlement français. La dépouille de Sawtche est restituée à l’Afrique du Sud le 3 Mai 2002 et solennellement accueillie au Cap. Elle est inhumée sur la colline du Hankey près de son village natal le 9 Août 2002 en présence du Président Thabo Mbeki et des Chefs de sa tribu.
La vie de Sawtche inspirera de nombreuses œuvres dans la littérature comme au cinéma. « Les Misérables » de Victor Hugo ou Georges Brassens dans sa chanson « Entre la rue Diderot et la rue de Vanves » y font référence. En 2010, le réalisateur franco-tunisien Abdellatif Kechiche a consacré un film à la mémoire de Sawtche. Un long métrage dérangeant.
Le retour des restes de Sawtche a également sonné le coup d’envoi, à travers le monde, d’un long mouvement de revendications des peuples colonisés, notamment à travers les demandes de rapatriement des biens culturels et des restes humains appartenant aux peuples colonisés vers leur territoire d’origine. Une façon de signifier que certains drames de l’histoire du monde, à l’instar de l’esclavage et de la reconnaissance par la science de l’infériorité de certaines races en comparaison à d’autres, n’auraient dû jamais avoir lieu.
Maggy Lynn