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Au Tchad, Sergueï Lavrov offre une coopération non-exclusive avec la Russie

« Le Tchad est un État souverain qui noue des relations avec qui il veut, nous ne sommes l’otage de personne ! », dixit le ministre tchadien des affaires étrangères mercredi 5 juin. Au « avec nous, ou contre nous », Sergueï Lavrov propose plutôt aux États africains une coopération non-exclusive. Vers une cohabitation entre la Russie et la France au Tchad ?

Parler à tous les acteurs sans s’aligner automatiquement sur des lignes de fracture décidées par d’autres ni hériter de leurs antagonismes et rivalités géopolitiques. Voilà en substance l’offre de partenariat formulée par Sergueï Lavrov mercredi 5 juin à N’Djamena. Une nouvelle dynamique qui ancre les relations internationales dans le XXIe siècle, loin des logiques stériles de bloc et vers un multi-alignement. Pragmatique, fondé sur une coopération fluide épousant tantôt des logiques d’alliance, tantôt d’adversité, le multi-alignement repose sur un émiettement de la puissance et l’émergence d’un monde désormais multipolaire.

« Le Tchad est un État souverain qui noue des relations avec qui il veut, nous ne sommes l’otage de personne ! », a déclaré le ministre tchadien des affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, aux côtés de son homologue russe. « Notre amitié avec la République du Tchad ne va pas influencer ses relations avec la France. La France, elle, a une autre approche : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous », a répondu Sergueï Lavrov lors d’une conférence de presse qui a clôturé sa sixième tournée africaine en deux ans.

Mahamat Idriss Déby entre l’Ouest et l’Est

Emprise historique de la France au Sahel, le Tchad entretient une relation ambiguë avec la Russie. Bien que la coopération avec Moscou ne se soit jamais interrompue, N’Djamena a pu considérer les intentions du Kremlin comme hostiles, en particulier lorsque pesaient sur la milice Wagner (aujourd’hui Africa Corps) des soupçons de fournir un appui aux groupes rebelles qui menacent directement le pouvoir tchadien, à partir de la Libye ou de la République Centrafricaine, territoires où les mercenaires russes sont solidement implantés. « Il y a des mercenaires russes présents en Libye [et] en République centrafricaine. Nous avons des raisons de nous préoccuper de la présence de ces mercenaires, parce que les assaillants qui ont attaqué le Tchad en avril et causé la mort de l’ancien président Idriss Déby ont été formés, encadrés par la société privée de sécurité Wagner », avait en son temps affirmé le Tchad via Chérif Mahamat Zene, ex ministre des Affaires étrangères.

Deux années plus tard, les relations se sont apaisées au point d’observer un rapprochement entre le Tchad et la Russie avec la visite à Moscou de Mahamat Idriss Déby en janvier de cette année. La campagne présidentielle en vue des élections du 6 mai s’est même déroulée en la présence remarquée de Maksim Shugaley, politologue russe spécialiste des campagnes d’influence sur le continent et proche de Wagner.

Un dilemme valeurs contre intérêts ?

« La position commune et de principe de la Russie et de la Guinée sur le rejet d’un ordre fondé sur des règles imposées par l’Occident ». À l’image de la déclaration de Sergueï Lavrov à Conakry, mais aussi d’autres en défiance envers la démocratie au Congo, la Russie pousse ses pions en se plaçant du côté des potentats auxquels elle offre un soutien sans contraintes idéologiques, sur la base des intérêts mutuels, de la realpolitik. Le modèle russe de coopération apparaît ainsi comme un partenariat d’État à État, sans jugement de valeur, axé sur la souveraineté. Il comporte toutefois des limites assumées : Moscou se place du côté des dirigeants, de l’ordre établi et pas forcément des peuples. Si l’on peut regretter le semblant de feu vert donné aux ambitions, aux échéances toujours repoussées, de Mamadi Doubouya ou Denis Sassou-Nguesso, cette déclaration, a le mérite de la clarté. Reste que les valeurs, agitées à géométrie variable, selon un « deux poids, deux mesures » auquel les plus jeunes générations font un procès aussi impitoyable que juste, se sont avérées être le cheval de Troie de l’ingérence, voire du néocolonialisme pour certains partenaires, prêts à s’asseoir dessus à l’envie ou à les instrumentaliser comme leviers contre les régimes moins favorables à leurs intérêts.

Quid des valeurs dans les relations internationales ? Loin de les balayer d’un cynique revers de main, elles trouvent leur place dans l’émergence de sociétés civiles vigoureuses, seules à même de contraindre les États, machines froides au service d’intérêts nationaux, à se positionner et agir sur la base de valeurs honorant l’humanité des peuples.  

Teria News

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