AfriquePolitique

Abdourahamane Tiani chez Faure Gnassingbé : pied-de-nez à la CEDEAO ?

Rapprochement Niger-Togo au nez et à la barbe de la CEDEAO. Vendredi, 48 heures avant le sommet de l’organisation, le chef du CNSP Abdourahamane Tiani a rendu visite au Togo de Faure Gnassingbé dont Lomé devient le port officiel du Niger, raflant la vedette à celui de Cotonou. Quand la realpolitik triomphe des postures.

C’était la première fois qu’Abdourahamane Tiani s’aventurait en territoire étranger à l’Alliance des États du Sahel (AES). Après le Mali et le Burkina Faso, sa visite à Lomé, vendredi 8 décembre, vient d’ailleurs clôturer une courte tournée dans les pays membres de l’Alliance. À cet égard, elle est venue sceller une montée en puissance l’AES qui ne cache désormais plus son ambition d’accélérer le processus d’intégration politique, militaire et économique amorcé depuis sa fondation, le 16 septembre dernier, notamment avec la création d’une monnaie commune devant se substituer au franc CFA.

Sous embargo depuis le renversement du président Mohamed Bazoum à la faveur du putsch du 26 juillet, Niamey est asphyxiée par les sanctions communautaires et voit en Faure Gnassingbé, désigné médiateur entre le Niger d’une part et la CEDEAO, comme le reste de la « communauté internationale » de l’autre, une potentielle bouée de sauvetage. D’autant que la CEDEAO a prévu de plancher sur le dossier nigérien, à l’agenda de son sommet ordinaire, organisé dimanche 10 décembre à Abuja.

Coopération sécuritaire et économique

Les deux dirigeants « ont réaffirmé (…) la volonté d’approfondir la coopération bilatérale », et annoncé l’ouverture d’une ambassade du Togo à Niamey, annonce un communiqué de la présidence togolaise, publié vendredi soir. Plus concrètement, outre la coopération sécuritaire, nécessaire au vu de l’élargissement de la menace djihadiste aux pays du golfe de Guinée, dont le Togo, il était question de renforcer la coopération bilatérale « en matière de transit et de transport sur le corridor Lomé-Ouagadougou-Niamey ». Alors qu’il était jusqu’ici privilégié par les commerçants nigériens, le port de Cotonou se voit ainsi détrôné par celui de Lomé. Le Togo est récompensé pour la neutralité observée par Faure Gnassingbé après la prise de pouvoir du général Tiani, contrastant avec l’option militaire prônée par Patrice Talon et une application stricte par Cotonou des sanctions communautaires, au détriment de ses intérêts commerciaux.

Ce renforcement n’interviendra qu’« après normalisation de la situation », précise toutefois le Togo, soit dans la foulée de la levée des sanctions de la CEDEAO contre le Niger. Celle-ci, a déclaré le Nigeria, est conditionnée à la libération de Mohamed Bazoum, privé de liberté depuis le 26 juillet. Le 3 décembre en effet, Abuja a demandé au CNSP nigérien de permettre au président déchu de se rendre « dans un pays tiers » avant de « parler de la levée des sanctions ». La requête fut accueillie à Niamey par une fin de non-recevoir, le Niger assurant que « rien de mal n’arrivera » à Mohamed Bazoum et écartant un « transfert vers un pays étranger ». De quoi faire achopper les négociations ? Éprouvées dans le double dossier malien des sanctions contre Bamako d’une part, puis des militaires ivoiriens de l’autre, les qualités de médiation du Togo avaient permis de décanter les deux situations au profit de Bamako. Une efficacité sur laquelle compte les nouvelles autorités militaires du Niger.

Un nouveau multilatéralisme pan-africain ?

Entre le Togo de Faure Gnassingbé d’une part, le Niger de Abdourahamane Tiani, le Mali d’Assimi Goïta et le Burkina Faso d’Ibrahim Traoré de l’autre, même combat ? Le rapprochement entre Lomé et les régimes putschistes sahéliens scelle-t-il une alliance circonstancielle ou amorce-t-il un nouvel axe sous-régional ?  

Si le pragmatisme des États du Sahel, aujourd’hui rassemblés au sein de l’AES, obéit à une logique de survie dans un environnement communautaire hostile, le virage du régime togolais, marqué par des postures diplomatiques iconoclastes, interroge sur les objectifs à moyen et long terme de Lomé. Ajouté au parrainage de l’Alliance politique africaine (APA) en mai dernier, le Togo semble vouloir s’émanciper de partenaires traditionnels et se positionner en hub d’une diplomatie alternative, voire frondeuse à l’égard d’un multilatéralisme institutionnel panafricain, discrédité par son inaction ou manque d’efficience dans les crises politico-sécuritaires du continent, ses prises de position contraires aux intérêts des peuples et ses difficultés à incarner une voix africaine sur les grandes questions géopolitiques contemporaines. Pèsent toutefois sur la crédibilité de Lomé, sa gouvernance autoritaire, la rupture du dialogue politique avec l’opposition et les obstacles à l’avènement d’une alternance politique au sommet de l’État.  

Teria News

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page