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En Tunisie, la chasse aux Noirs se poursuit

Jetés en pâture par le président tunisien Kaïd Saïed via des propos ouvertement racistes tenus le 21 février, les étudiants subsahariens essuient interpellations arbitraires, agressions, expulsions de leurs domiciles et outrages de toutes sortes. La peur au ventre, beaucoup restent cloitrés chez eux. Pour ceux qui ont encore un toit.

En Tunisie, comme dans le reste du monde arabe, la négrophobie peut être retracée aussi loin que l’époque de la traite arabo-musulmane. Occultée ou balayée par une majorité de programmes scolaires, elle a pourtant pris racine au VIIe siècle pour s’étendre sur 13 siècles. Les tunisiens Noirs, soit 10 à 15% de la population nationale, en sont les descendants. À ces citoyens à la peau sombre, s’ajoutent 22 000 ressortissants subsahariens, soit à peine 0.2 % de la population, mais pourtant sensés, à eux seuls, mettre en danger l’identité arabo-musulmane de la Tunisie.

Prononcés à froid il y a deux semaines dans le cadre très institutionnel d’un conseil de sécurité nationale, les mots du président tunisien ont libéré les pulsions racistes de certains, dès lors autorisés par le sommet de l’État à exprimer leur haine contre la peau noire. Opportunistes, ils visent à détourner l’attention d’une gouvernance autoritaire marquée par un référendum et des législatives boudés ainsi que plusieurs contre-performances économiques.

Le sort tragique des étudiants subsahariens

Sans familles, expatriés volontaires en quête d’une formation de qualité, le plus souvent avec peu de moyens, entre 5 000 et 7 000 étudiants subsahariens sont en situation de grande vulnérabilité. Une fois les récits du traitement infligé à leurs camarades diffusé via les réseaux de solidarité, nombreux sont-ils à se cloitrer chez eux par crainte d’être pris à partie par la haine. Autant dire que la psychose règne. Ceux qui le peuvent poursuivent leur cursus à distance grâce aux cours en ligne.

Dénonçant plusieurs agressions dans un communiqué publié le 26 février, l’association des Étudiants et Stagiaires Africains a d’ailleurs appelé les uns et les autres à ne pas sortir de chez eux. Mais voilà que même à domicile, plusieurs étudiants ont été la cible d’attaques physiques, de saccages et expulsés de chez eux. Sur les réseaux sociaux circulent des vidéos et photos de visages ensanglantés, d’appartements pillés et de groupes d’étudiants forcés de dormir à la belle étoile, le ventre vide.

Le gouvernement tunisien joue l’apaisement

Devant l’indignation et le mouvement de boycott des produits tunisiens lancé sur les réseaux sociaux, le gouvernement tunisien a mis du temps à réagir. Ce n’est que dimanche 5 mars, soit deux semaines après la sortie de Kaïd Saïed, que l’exécutif prend quelques actions. Se disant fier d’être un pays africain, le gouvernement annonce des mesures pour faciliter les procédures de séjour aux étudiants subsahariens et assouplir celles pour les départs volontaires des migrants irréguliers dans leur pays : carte de séjour d’un an, récépissé de la demande de la carte de résidence prolongé de 3 à 6 mois et mise en place d’un numéro vert pour signaler les violations des droits. De plus, dans un communiqué publié par ministère des Affaires étrangères en date du 4 mars 2023, les autorités tunisiennes proposent l’exonération des pénalités de séjour pour les migrants souhaitant faire un retour volontaire dans leur pays (jusqu’à 3 000 dinars, soit environs 588 000 francs CFA).

Vital pour une économie nationale chancelante, la Banque mondiale a décidé de suspendre « jusqu’à nouvel ordre » son cadre de partenariat avec la Tunisie.

Après un silence assourdissant, le 24 février l’Union africaine (UA) a fini par condamner les propos de Kaïd Saïed ainsi que le déferlement de haine engendré par ses déclarations racistes. Pas assez pour beaucoup qui demandent également la révocation de la participation de la Tunisie aux instances dirigeantes de l’UA. Plusieurs pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso ou la Guinée ont mis à disposition de leurs ressortissants des vols pour acheminer les candidats au départ volontaire. Abandonnant leurs cursus, ils ont répondu par centaines.

Teria News

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