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Tunisie : la négrophobie assumée du président Kaïs Saïed

« L’immigration clandestine relève d’un complot pour modifier la démographie de la Tunisie, afin qu’elle soit considérée comme un pays africain uniquement et non un pays arabe et musulman », déclare le président tunisien Kaïs Saïed. Un discours « raciste et haineux » contre les migrants subsahariens, mais révélateur de la négrophobie qui sévit au Maghreb.

Avec ces déclarations, le président tunisien valide et encourage le racisme contre les migrants subsahariens. Quand la négrophobie relève du sursaut national nécessaire à la défense de l’identité « arabo-musulmane » de la Tunisie, le racisme anti-Noir est érigé en politique publique.

Mardi 21 février, Kaïs Saïed a surpris par la violence de sa sortie sur l’immigration clandestine issue d’Afrique noire. « Il existe un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie, et certains individus ont reçu de grosses sommes d’argent pour donner la résidence à des migrants subsahariens », a déclaré le chef d’État, cité dans un communiqué de la présidence de la République.

Les boucs-émissaires d’un régime autoritaire à l’économie chancelante

« Illégitime et boudé dans les urnes, le président tunisien veut se refaire une santé sur la sécurité des migrants Noirs en ralliant à lui une partie de l’opinion tunisienne réceptive au racisme propagé sur les réseaux sociaux et par une certaine presse. »

Montée en épingle par un régime dont la dérive autoritaire est vertement dénoncée par la société civile depuis la dissolution du Parlement en mars 2021, la question de l’immigration clandestine subsaharienne a été mise à l’agenda institutionnel mardi, lors d’un conseil de sécurité nationale convoqué sur le sujet.

À cette occasion, Kaïs Saïed a évoqué des « hordes de migrants clandestins » dont la présence en Tunisie serait, selon lui, source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ». Insistant sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration, le président tunisien l’a assimilée à « une volonté de faire de la Tunisie seulement un pays d’Afrique et non pas un membre du monde arabe et islamique ».

Avec de telles déclarations, Kaïs Saïed fait sienne et adapte au Maghreb la théorie fumeuse du « grand remplacement ». Une hérésie scientifique agitée par l’extrême droite française et occidentale pour justifier une contraction de leur politique migratoire. Ce n’est ainsi pas un hasard si Eric Zemmour, le président du parti français « Reconquête », s’est félicité, dans un tweet publié mercredi matin, de ce que « les pays du Maghreb eux-mêmes commencent à sonner l’alarme face au déferlement migratoire », oubliant astucieusement de mentionner qu’en France, cette théorie s’applique justement et essentiellement à l’immigration arabo-musulmane, fustigée par l’extrême-droite comme une menace à une certaine idée de la laïcité et de l’identité nationale française.

Pratique à plus d’un titre, la théorie du « grand remplacement » permet aussi de désigner l’étranger comme l’origine de tous les maux de la société. En Tunisie, les chiffres connus évoquent la présence de 22 000 ressortissants subsahariens sur une population de 12 millions de tunisiens, soit 0.2 % au total. En stigmatisant cette immigration, Kaïs Saïed en fait le bouc-émissaire de sa gouvernance politique autoritaire et de sa politique économique inefficace. Illégitime et boudé dans les urnes, le président tunisien veut se refaire une santé sur la sécurité des migrants Noirs en ralliant à lui une partie de l’opinion tunisienne réceptive au racisme propagé sur les réseaux sociaux et par une certaine presse.

La question de la négrophobie maghrébine

« En Tunisie, depuis quelques jours, un discours haineux et raciste anti-migrants, propagé depuis le sommet de l’État, résulte en une chasse à l’homme Noir. Qu’attendent nos gouvernements pour convoquer les ambassadeurs de Tunisie et exiger de faire cesser cette brutalité immédiatement ? Quand il s’agit de protéger les intérêts des Occidentaux, on voit la CEDEAO et l’Union africaine s’agiter comme des diables. Mais quand il agit des peuples africains, il n’y a plus personne pour parler ou agir ! »

Nathalie Yamb

Si le discours de Kaïs Saïed a surpris, dans le fond, le président tunisien ne fait qu’assumer la négrophobie notoire qui sévit au Maghreb. S’il est vrai que la violence des mots utilisés autorise désormais une parole ainsi que des actes négrophobes, ils révèlent en réalité ce que tous les Africains subsahariens savent : le Maghreb se considère en dehors de l’Afrique, répugne à y être associé et les Noirs y vivent un rejet et un racisme supérieur à celui subit dans les pays occidentaux.

Teria News

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