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« Les Héroïnes » : Le courage de Rosalie, dite «Solitude» contre le retour de l’esclavage en Guadeloupe

« Les Héroïnes » : Enceinte de trois mois lors de son arrestation par les troupes coloniales de Napoléon, Rosalie dite « Solitude » est une icône de la lutte contre le retour de l’esclavage dans les Caraïbes françaises. Guadeloupéenne, elle fut emprisonnée le 29 novembre 1802 et exécutée au lendemain de son accouchement. Récit de sa bravoure.

De son vrai nom Rosalie, « Solitude » naquit vers 1780 en Guadeloupe, archipel de la mer des Caraïbes colonisé en 1635 par la France qui s’y établit après avoir combattu le peuple autochtone « Karib » ou « Caraïbe ». Des milliers d’Africains déportés et leurs descendants y furent exploités pour développer une économie basée sur les cultures de café et coton.

Esclave à la naissance, le surnom « Solitude » de Rosalie lui parvient de ses origines mais également de son parcours. En effet, fruit du viol de Bayangumay, une esclave noire déportée vers les Antilles par un marin capitaine blanc sur un navire négrier, Rosalie héritera à sa naissance du même statut que sa mère. Celle-ci protégea son enfant dans une société esclavagiste où sa peau « claire » l’enfermait déjà dans une catégorie. Elle grandit au côté de sa mère, subissant les affres de l’esclavage jusqu’au jour où ce que redoutait tant Bayangumay se produisit : le maître blanc de la plantation remarqua cet enfant de « peau claire et aux yeux clairs ». Solitude fut alors séparée de sa mère et nommée domestique, catégorie se voulant supérieure à celle des esclaves. Sa mère qui n’avait dès lors plus le droit d’approcher sa fille, faillit en perdre la raison.   

Désormais compagne de jeu des filles du maître, Solitude parlera peu et demeura souvent dans le silence. Elle grandit ainsi, prenant conscience des humiliations et tortures dont elle était entourée.

Une première abolition de l’esclavage éphémère

En 1788, la Société des Amis des Noirs réclama à Paris l’arrêt de la traite des esclaves. L’année 1789 consacrera l’adoption de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, l’acte le plus remarquable de la révolution française, marquant ainsi une nouvelle ère dans la quête de liberté au sens universel. Ce ne fut pas sans incidence sur la cause anti-esclavagiste dans les colonies, l’universalité des droits énumérés dans le texte et l’instabilité instaurée par la révolution française favorisant les mouvements anti-esclavagistes.

Ainsi, comme en métropole, au nom de la révolution, des émeutes éclatent sur l’archipel de Guadeloupe et n’épargneront aucune composante de la société esclavagiste. À la fois, des familles de planteurs, des membres du clergé et des esclaves seront exécutés ou obligés de fuir l’archipel agité. On parlera précisément de la communauté des « marrons » constituée d’esclaves en fuite, ayant formé des camps isolés et auxquels Solitude, engagée dans la lutte pour l’abolition se joignit.  

Le 04 février 1794, l’esclavage est aboli dans les colonies françaises par un décret faisant de tous les habitants des citoyens français. Comme dans la plupart des colonies, l’application de cette convention ne fut pas sans grande difficulté et sera de courte durée. D’une part, parce qu’avant la parution de la nouvelle sur l’archipel, celle-ci était déjà sous occupation anglaise. D’autre part, Napoléon Bonaparte prit le pouvoir en 1804 mais rétablit déjà l’esclavage dès 1802 avec consigne ferme au général Richepance qui administrait alors l’archipel, de contrer les mouvements de rébellion anti-esclavagistes et de remettre les anciens esclaves aux fers. Les moyens militaires ne se firent pas attendre. Quatre mille hommes seront déployés sur l’île à pointe-à-Pitre le 04 Mai 1802.

La résistance des « marrons »

Sur place, des officiers libres noirs et mulâtres s’organisèrent pour contrer le rétablissement de l’ordre colonial. Le colonel d’infanterie d’origine martiniquaise Louis Delgrès et ses pairs se soulevèrent contre le rétablissement de l’esclavage et le retour du général Lacrosse, expulsé du territoire par un putsch mené en octobre 1801.

Mémorial dédié à Louis Delgrès

À la tête du soulèvement, Delgrès appela à la résistance, femmes et hommes confondus. C’est dans ce contexte que Solitude partit se rallier aux rebelles à Pointe-à-Pitre et maniera les armes aux côtés de son compagnon rencontré dans le camp des « marrons » et auquel elle s’attacha après plusieurs années. Solitude se démarquera comme une meneuse pourvue d’une autorité naturelle et participera à tous les combats pistolet à la main, malgré sa grossesse.

Monument de Bagneux en hommage à Solitude

En Guadeloupe comme dans la plupart des colonies, le bilan de la répression des résistants fut sanglant. On dénombre plusieurs milliers de victimes. Le 23 mai 1802, lors de l’attaque du Camp Palerme, les troupes françaises dirigées par le Général Gobert acculeront trois cents résistants dans une forteresse où ils les assiègeront violemment. Face à l’attaque, Louis Delgrès fit exploser des barils de poudre entraînant la mort de la quasi-totalité des résistants réfugiés dans la forteresse. Quelques-uns survécurent toutefois, dont Solitude.

Arrêtée enceinte, cette héroïne de la résistance guadeloupéenne fut condamnée mais ne sera pas immédiatement emprisonnée en raison de son état. Elle donnera naissance le 28 Novembre 1802 d’un petit garçon né esclave et fut suppliciée le lendemain.  

Esclave, née d’une mère esclave, donnant elle-même naissance à un enfant esclave et combattante pour la liberté, la vie de Solitude en fait aujourd’hui une véritable héroïne. Mais surtout, la contribution des femmes à la lutte contre l’esclavage ayant souvent été invisibilisée, la découverte de cette figure emblématique permet aujourd’hui de leur redonner la place de choix qu’elles ont toujours occupée.

Maggy Lynn

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