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L’accord entre l’Éthiopie et le Somaliland bouleverse les dynamiques régionales 

Tonitruante, l’annonce, début janvier, d’un accord entre l’Éthiopie et la région séparatiste du Somaliland menace de déstabiliser davantage une région déjà en proie à de multiples insurrections. Contre un accès à la mer Rouge pour son pays enclavé, Abiy Ahmed promet une reconnaissance de « l’État du Somaliland ». Mais Addis-Abeba risque ainsi d’exacerber les conflits dans la Corne de l’Afrique.

La Corne de l’Afrique a inauguré cette nouvelle année avec l’annonce d’un accord qui augure d’un démarrage difficile des relations diplomatiques dans la région. L’Éthiopie, a-t-on annoncé le 1er janvier, a signé un mémorandum d’accord avec la région séparatiste du Somaliland, ouvrant la porte à un accord visant à échanger une participation dans la compagnie aérienne phare Ethiopian Airlines contre un accès au golfe d’Aden.

De telles transactions de réciprocité économique sont généralement courantes. Mais cet accord comporte un autre élément. Il a associé l’accès à la mer à la reconnaissance officielle du Somaliland par l’Éthiopie, ce qui a suscité de nombreuses réactions diplomatiques. En effet, la Somalie, voisine de l’Éthiopie, a exigé que l’accord soit immédiatement rétracté. Au Somaliland même, l’accord a été accueilli par des protestations et par la démission du ministre de la Défense.

Avant le mémorandum d’accord avec le Somaliland, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed avait signalé son intention d’obtenir un accès à la mer Rouge pour son pays enclavé. Une tentative qui, selon les observateurs, pourrait avoir un effet déstabilisateur dans la région.

L’Éthiopie est sous le choc d’une guerre intense et sanglante de deux ans à l’intérieur de ses propres frontières, associée à des conflits incessants entre différents groupes ethniques. En raison de la violence, l’Éthiopie connaît actuellement des déplacements internes massifs et la famine.

Les tensions géopolitiques créées par l’accord avec le Somaliland pourraient exacerber les problèmes de l’Éthiopie et de la région. Mais malgré le risque, les deux parties savent qu’elles ont beaucoup à gagner.

La quête de reconnaissance du Somaliland

Depuis qu’il a déclaré son indépendance de la Somalie en 1991, le Somaliland fonctionne comme un État de facto pleinement fonctionnel, doté de son propre territoire, de sa population et de son gouvernement.

Cependant, il lui manque encore la reconnaissance internationale qui permettrait au Somaliland de participer pleinement à la communauté mondiale, comme l’adhésion aux Nations Unies. Un signe de tête formel débloquerait également l’accès aux protections du droit international et aux opportunités économiques. Ainsi, l’accord avec l’Éthiopie constituerait une étape vers la réalisation de ce chaînon manquant essentiel.

La reconnaissance d’un nouvel État en vertu du droit international exige que les nations établies reconnaissent la souveraineté et la légitimité du territoire. Cela peut être réalisé par des moyens explicites ou implicites. La reconnaissance explicite prend la forme d’une déclaration officielle sans équivoque. En revanche, une reconnaissance implicite peut émerger à travers des traités bilatéraux, des alliances ou des échanges diplomatiques signalant essentiellement l’acceptation d’un pays sans faire de déclaration officielle de reconnaissance. La reconnaissance implicite offre souvent un avantage stratégique, sauvegardant les intérêts d’un pays sans déclencher de discorde régionale.

Maîtriser l’art de rédiger des traités avec des reconnaissances implicites peut être crucial pour éviter de surengager un pays sur le plan diplomatique. La communauté internationale attendait d’Abiy Ahmed, lauréat du prix Nobel de la paix, qu’il navigue sur cette corde raide diplomatique, en équilibrant une certaine reconnaissance du Somaliland et de la retenue. Cela pourrait éviter de rompre les relations avec la Somalie et de mettre en péril la dynamique de sécurité régionale.

Un accord ambigu

Les détails spécifiques du protocole d’accord restent inédits. Jusqu’à présent, les enseignements tirés proviennent principalement d’une conférence de presse conjointe tenue par les deux dirigeants éthiopiens et somalilandais à Addis-Abeba et des communiqués de presse ultérieurs.

Des distinctions nuancées dans les priorités de chaque parti sont apparues : le Somaliland met l’accent sur la reconnaissance explicite. L’Éthiopie se concentre sur l’intégration régionale. Des écarts plus importants dans les messages apparaissent lorsqu’observés de plus près. Les deux parties soulignent les avantages économiques et sécuritaires. Mais la déclaration éthiopienne du 3 janvier suggère seulement une « évaluation approfondie » de la demande de reconnaissance de l’État. Cela semble en contradiction avec la revendication du Somaliland d’une reconnaissance garantie en échange d’un accès à la mer. Mais comme le texte même de l’accord n’est pas accessible au public, ses implications restent entourées de secret, ce qui ajoute encore au malaise dans la région.

Montée des tensions régionales

Depuis la signature du mémorandum d’accord, les tensions se sont intensifiées entre la Somalie, l’Éthiopie et le Somaliland. Le président somalien Hassan Sheikh Mohamud a lancé un sévère avertissement contre l’accord et menacé de défendre la Somalie par tous les moyens disponibles. Il a exhorté les civils somaliens à s’unir contre d’éventuelles incursions et a mis en garde l’Éthiopie contre une escalade de la situation vers un conflit armé.

Mohamud a également recherché le soutien de ses alliés. En 2024 déjà, il s’est rendu en Érythrée pour des négociations de sécurité visant à renforcer les liens bilatéraux et à répondre aux préoccupations régionales et internationales. Il a également reçu une invitation de l’Égypte en signe apparent de soutien.

La situation précaire de l’Éthiopie

Autre signe de tensions croissantes, le chef d’état-major de l’armée éthiopienne a engagé des pourparlers avec son homologue du Somaliland pour discuter de coopération militaire.

Compte tenu de la situation délicate de l’Éthiopie face aux forces sécessionnistes nationales, les critiques ont rapidement souligné que l’Éthiopie n’était peut-être pas la mieux placée pour envisager l’idée de reconnaître le Somaliland. Non seulement cela risquerait d’entraîner un conflit avec la Somalie, mais cela pourrait également conduire à la reprise d’une poussée sécessionniste au sein même de l’Éthiopie.

Le Somaliland est situé au sud et à l’est de l’État régional somalien de l’Éthiopie. La région est gouvernée par la branche somalienne du Parti éthiopien de la prospérité, dont la légitimité a longtemps été contestée par le Front de libération nationale de l’Ogaden, ONLF, un groupe réclamant l’autonomie des Somaliens en Éthiopie.

Jusqu’à la conclusion d’un accord de paix en octobre 2018, l’ONLF était engagé dans une guerre sécessionniste de plusieurs décennies avec le gouvernement éthiopien. Plus récemment, en 2020, une campagne d’indépendance dans la région du Tigré en Éthiopie a donné lieu à un conflit armé de deux ans qui a déplacé des millions de personnes et plongé des centaines de milliers d’autres dans la famine.

Pendant ce temps, les Amhara, un groupe ethnique autochtone d’Éthiopie, résistent à la tentative du gouvernement fédéral de désarmer leurs milices et leurs forces spéciales régionales. Et l’État d’Oromia a également connu des appels à l’indépendance avant qu’un Premier ministre oromo, Abiy Ahmed, ne soit élu par le Parlement en 2018.

Une nouvelle poussée en faveur de l’autonomie par rapport à la communauté somalienne d’Éthiopie pourrait servir à raviver un certain nombre de ces conflits internes latents et de l’irrédentisme somalien.

Réaction internationale hostile et protestations généralisées

L’attention mondiale portée aux tensions croissantes dans la Corne de l’Afrique s’est accrue : les États-Unis ont exprimé de sérieuses inquiétudes et l’Union africaine a exhorté l’Éthiopie et la Somalie à apaiser les tensions au nom de la paix régionale. Des déclarations similaires sont venues de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (un bloc commercial africain), de l’Union européenne et de la Ligue arabe.

Djibouti, voisin du Somaliland au nord-ouest, a appelé au dialogue et à une solution diplomatique. Mais de tels appels émanant d’acteurs internationaux et régionaux n’ont guère contribué à apaiser les tensions. Dans les jours qui ont suivi l’annonce de l’accord, des dizaines de milliers de Somaliens ont manifesté dans les rues de Mogadiscio, qualifiant cette décision d’agression contre la souveraineté de la nation.

Et même si les habitants du Somaliland et de l’Éthiopie ont largement soutenu le mémorandum dans l’espoir qu’il débouche sur une reconnaissance internationale et un redressement économique, tout le monde ne soutient pas l’accord. Ainsi, au Somaliland, le ministre de la Défense Abdiqani Mohamud Ateye a démissionné le 8 janvier, affirmant que la cession de l’accès à la côte à l’Éthiopie représentait une menace pour la souveraineté du Somaliland. Il apparait alors que le mémorandum d’accord ait eut pour effet de rouvrir de vieilles blessures dans la région.

Teria News avec The Conversation

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