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Soudan : la dimension géopolitique de la guerre des généraux

Les grandes puissances croisent-elles le fer au Soudan? L’explosion de violence entre les généraux al-Burhane et Daglo cache également une opposition entre deux alignements géopolitiques antagonistes. Le conflit actuel qui déchire le Soudan est aussi une déclinaison de l’affrontement Est-Ouest. En jeu notamment : l’accès à la mer Rouge.

Au troisième jour des affrontements, balles et missiles continuent de fuser, sans aucune retenue autour des quartiers résidentiels. Depuis samedi 15 avril, la rivalité brutale entre les généraux Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdane Daglo, alias « Hemedti » a fait au moins 97 morts et plus d’un millier de blessés, selon le syndicat officiel des médecins. Une nouvelle fois, les civils, victimes de feux croisés, paient le prix fort d’un bras de fer entre les deux hommes forts de l’appareil sécuritaire soudanais. Une lutte de pouvoir qui consacre la négation de leurs intérêts et éclaire les enjeux du renversement d’Omar el-Béchir en 2019. Affamé de pain, mais aussi de libertés, le peuple soudanais a été piégé par les piliers de l’ancien régime, avant tout déterminés saisir l’opportunité que leur offraient les manifestations pour devenir calife à la place du calife et dès lors, s’assurer une plus grande part du gâteau politique et économique.

S’ensuivit une Transition de façade, à l’issue de laquelle l’armée n’a jamais eu l’intention de transmettre le pouvoir aux civils, en témoigne le coup d’État d’octobre 2021 chapeauté par le général al-Burhane, chef du Conseil souverain de Transition, juste avant que la présidence de cette instance mixte chargée de piloter la Transition, soit transférée à un civil.

L’empreinte des grandes puissances dans le conflit 

Derrière les deux protagonistes des violences et au-delà de leur différend lié aux modalités d’incorporation des Forces paramilitaires de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo au sein de l’armée régulière, se cache deux alignements géopolitiques antagonistes. D’un côté, l’axe Égypte-Occident favorable au général al-Burhane, de facto chef d’État depuis le coup de force de 2021. De l’autre, l’axe Russie-pays du Golfe, dont les intérêts portent davantage vers le chef des FSR.  

Quel rôle ont joué les puissances régionales et internationales dans l’explosion de violence en cours au Soudan et quelle influence peuvent-elles avoir dans une désescalade ? Le Soudan serait-il le nouveau terrain chaud d’affrontements violents entre les blocs de l’Est et de l’Ouest ? En jeu notamment : le partage des eaux du Nil et l’accès à la mer Rouge qui avait été garanti à Moscou par Omar el-Béchir via un accord de 2017 encadrant la construction d’une base navale, stratégique pour contrer la flotte américaine. Si elle voyait le jour, cette base serait la première de la Russie en Afrique depuis l’implosion de l’URSS. De plus, une base navale russe assurerait à Moscou le contrôle du stratégique détroit de Bab al-Mandab par lequel transitent 10 % du trafic mondial de marchandises.

« Si un pays veut une base sur nos côtes, que cette base satisfait nos intérêts et ne menace pas notre sécurité, qu’elle soit russe ou autre, nous coopérerons », avait affirmé « Hemedti », affichant ainsi son alignement sur Moscou.

Risque de contagion du Soudan vers les pays frontaliers

Sans tarder, le Tchad a, dès samedi, annoncé la fermeture de ses frontières avec le Soudan. Entouré au nord par l’Égypte, à l’Ouest par le Tchad et la Centrafrique, à l’Est par l’Érythrée et l’Éthiopie et au Sud par le Soudan du Sud, le Soudan est un espace pivot dont le contrôle est une des clés de l’influence sur le Moyen-Orient, le Sahel et la région des Grands Lacs. Ce positionnement éclaire l’investissement des puissances régionales comme l’Égypte, Israël et les pays du Golfe, ainsi que celui des puissances internationales comme les États-Unis et la Russie, la dernière s’étant particulièrement réinvestie depuis 2017.    

Si les unes redoutent le basculement du Soudan sous l’influence russe, à même de remettre en cause les fragiles « équilibres sahéliens » à partir du Tchad, les autres veulent s’assurer une profondeur stratégique en Afrique de l’Ouest et centrale.

En attendant, les combats qui font toujours rage à Khartoum et dans d’autres villes du pays ne laissent pour le moment émerger aucun vainqueur. États-Unis, Russie, ONU, Union africaine et pays du Golfe (au sein de la Ligue arabe réunie dimanche 16 avril en sommet extraordinaire), appellent à un « cessez-le-feu ».

Teria News

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