AfriquePolitique

Mercredi 29 avril, 24h00 après la condamnation de Guillaume Soro à 20 ans de prison ferme, la Côte d’Ivoire annonce se retirer de la « déclaration de compétence prévue au protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ». Un garde-fou de moins contre l’arbitraire du pouvoir

Citoyens ivoiriens et organisations de la société civile se voient privés de la possibilité de saisir directement la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP).

« Cette décision est prise sans préjudice de l’engagement du gouvernement à demeurer partie à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples », précise un communiqué du porte-parole du gouvernement ivoirien, Sidi Tiémoko Touré. Basée à Arusha, la Cour a pour mandat de juger le respect par un État partie des droits de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et de tout autre instrument relatif à la protection des droits de l’Homme ratifié par cet État.

Avec cette décision, la Côte d’Ivoire devient le 4e pays à retirer sa déclaration de compétence, après le Bénin, le Rwanda et la Tanzanie, qui héberge la juridiction. Réponse du berger à la bergère, le geste d’Abidjan est une réaction à l’arbitrage de la CADHP entre le citoyen, devenu opposant politique, Guillaume Soro, et l’État de Côte d’Ivoire. La Cour avait en effet, le 22 avril dernier, demandé à la Côte d’Ivoire de surseoir à l’exécution du mandat d’arrêt émis contre l’ancien Président de l’Assemblée nationale, et de remettre en liberté 19 de ses partisans et proches.

Ally Coulibaly, ministre des Affaires étrangères par intérim, interprète la décision de la CADHP comme « politique » et « inacceptable ». « N’en déplaise à nos détracteurs, la Côte d’Ivoire est un État de droit. Tous les citoyens peuvent saisir les tribunaux sur toute l’étendue du territoire. Et notre justice est impartiale. A quoi nos tribunaux vont-ils servir, si un citoyen lambda peut saisir la Cour africaine des droits de l’homme alors qu’il y a des possibilités que nous offrons au plan national. » a-t-il poursuivi.

Si l’arrêt du 22 avril est politique, le retrait ivoirien peut être considéré comme étant tout aussi politique.

À l’orée du soixantenaire de l’indépendance du Bénin et de la Côte d’Ivoire, ces retraits successifs exposent davantage les citoyens de ces États à l’arbitraire du pouvoir. En alimentant des précédents, ils sont également de nature à freiner la construction démocratique de ces deux pays de la sous-région ouest-africaine, mais aussi du continent tout entier. Ces deux États sont en effet des symboles. Le premier, perçu jusqu’à l’avènement du président Patrice Talon comme un pôle démocratique sur le continent, et le second, un pôle économique en tant que moteur de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, qui jouit d’une indiscutable influence sur les autres pays. « Ce retrait privera les particuliers et les ONGs ivoiriens d’un recours judiciaire précieux », se lamente Amnesty International. L’organisation note que cette annonce intervient « dans un contexte pré-électoral où le gouvernement ivoirien a multiplié les attaques contre des opposants politiques et voix dissidentes. »

Il est reproché à la CADHP d’enfreindre la souveraineté des États partie. Mais, entre le moment où les pays qui se retirent ont signé la déclaration de compétence et l’acte de retrait, la juridiction supra nationale n’a pas, à leur insu, étendu le champs de ses compétences. De plus, une théorie juridique défend qu’en acceptant d’abandonner une partie de sa souveraineté, un État, loin de s’en dépouiller, par là même, pose justement un acte positif de souveraineté. Par ailleurs, les accusations émanant du Bénin et de la Côte d’Ivoire, selon lesquelles ces décisions sont motivées politiquement et non juridiquement, ne font que politiser, non pas les arrêts de la Cour, mais les retraits desdits États. Ces derniers, font paradoxalement rejaillir le blâme originel sur leurs propres motivations.

Avec les 4 retraits mentionnés, sur 30 États parties à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, seul 6 (sur les 10 ayant déclaré accepter sa compétence), la reconnaissent encore, soit le Burkina Faso, la Gambie, le Ghana, le Malawi, le Mali et la Tunisie. En outre, cette nouvelle défection marque, sinon la défaite, du moins le recul du projet de construction d’une juridiction africaine capable de se substituer à la décriée Cour pénale internationale, dont la compétence, à l’exception du Rwanda, est toujours reconnue par les États qui ont fait marche arrière.

Teria News

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page