La mémoire de Patrice Lumumba ne saurait s’effacer au profit de la canonisation du roi Baudouin Ier. Le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa s’oppose à la béatification du souverain belge par le pape François. En cause : son rôle dans l’assassinat du héros de l’indépendance congolaise.
Décédé en 1993, certains épisodes du règne de Baudouin Ier, au cœur du processus de décolonisation et des premières heures de l’indépendance de la République Démocratique du Congo, sont sources de polémique. C’est plus précisément son rôle, encore opaque, dans l’assassinat de la figure révérée de Patrice Lumumba, héros de l’indépendance congolaise face au colon belge et référence panafricaniste, qui revient hanter sa mémoire. Celui-ci pourrait même constituer un blocage à la canonisation du souverain belge par le pape François.
Présent au Vatican dans le cadre d’un synode, le cardinal Fridolin Ambongo a jeté le pavé dans la marre. Le 21 octobre dernier, il a exprimé ses réserves sur la béatification du roi Baudouin Ier, annoncée en septembre par le pape François au cours d’une visite en Belgique. Evoquant une « tache noire », le prélat a ainsi invité la « Congrégation pour les causes des saints » à mener une enquête approfondie pour éclaircir cet épisode sombre des relations belgo-congolaises avant de poursuivre le processus de béatification. « Si l’Église souhaite avancer vers la canonisation, elle doit d’abord aborder cette part sombre du dossier », a-t-il appelé.
Convergence de vues entre Eglise et classe politique
La position du chef de l’Eglise catholique en RDC a obtenu le soutien d’acteurs politiques congolais, à l’instar de l’opposant Martin Fayulu, candidat malheureux à la présidentielle de 2018 et leader du parti Ecidé.
Le processus de canonisation de Baudoin Ier vient raviver le débat latent sur les zones d’ombre de la colonisation belge et de l’influence de Bruxelles dans la vie politique congolaise après l’indépendance du pays en 1960. Descendant de Léopold II, roi sanguinaire qui régnait sur le pays en tant que propriété privée, il est difficile pour beaucoup de concevoir l’absence de Baudouin dans la chaîne de décision ayant conduit à la torture, l’assassinat de Patrice-Emery Lumumba et la désacralisation de son corps, dissout dans de l’acide en 1961 par les services secrets belge et américain.
Par ailleurs, éluder le passé de ce souverain dans un processus de canonisation reviendrait, pour l’Eglise catholique, à amplifier les accusations de collusion entre Rome et les puissances coloniales. De plus, alors que le pape François a reconnu le rôle de l’Eglise dans cette page sombre de l’Histoire et s’est fait, pas plus tard qu’en février 2023, pourfendeur du « colonialisme économique » à l’œuvre en Afrique, précisément lors d’une visite en République Démocratique du Congo, poursuivre le processus sans éclairer les responsabilités de Baudoin Ier discréditerait les positions du souverain pontife et entacherait son héritage.
En outre, la sortie du cardinal Fridolin Ambongo s’inscrit dans la continuité du rôle politique de l’Eglise en RDC, comme dans plusieurs pays du continent africain. À travers les régimes, elle s’est positionnée comme un véritable contre-pouvoir, se tenant aux côtés de la société civile dans les luttes contre les dérives des pouvoirs civils.
Teria News