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Législatives au Sénégal : Macky Sall doit sauver sa tête contre des poursuites judiciaires

« L’enjeu pour le président Macky Sall c’est surtout de sauver sa tête pour contrer la mise en place de la Haute Cour de Justice. », seule à même de le traduire lui et ses anciens ministres pour détournement et haute trahison. Ce, alors que le Premier ministre Ousmane Sonko « met un point d’honneur à faire rendre gorge à ceux qui ont dilapidé les ressources du pays ». Dans une interview accordée à Teria News, Abdoulaye Cissé, Editorialiste au groupe Futurs Médias de Dakar décrypte les enjeux des législatives anticipées du 17 novembre prochain au Sénégal. Ne manquez pas ce riche entretien.

Bassirou Diomaye Faye a été élu en mars dernier avec 54% des suffrages. 8 mois plus tard, la dynamique qui l’a porté au pouvoir lui permettra-t-elle de s’offrir une majorité confortable pour mener à bien ses réformes et dérouler son programme de rupture ou celle-ci s’est-elle quelque peu enrayée avec l’impatience exprimée par certains soutiens ?

Il serait presque suicidaire au Sénégal de prédire l’issue d’un scrutin tant les choses ne sont pas linéaires mais, ce que l’on peut d’ores et déjà dire, c’est que la dynamique est encore avec le président Bassirou Diomaye Faye. Mais est-ce que la mobilisation qui avait caractérisé l’élection présidentielle est encore là ? Ça, c’est une grande question, tant l’élection présidentielle avait cristallisé de la tension. Beaucoup d’engagement également, mais cet engagement est retombé. Donc, il y a la problématique de la participation à ces élections législatives qui vont être très importantes pour donner une majorité au président Bassirou Diomaye Faye.

Alors, il faut dire aussi, sur un plan comptable, numérique, que le président Bassirou Diomaye Faye était parti avec une grande coalition : la « Coalition Diomaye président ». Il y avait plus de 100 partis et mouvements qui composaient cette coalition. À la surprise générale, le Premier ministre Ousmane Sonko qui dirige cette liste Pastef aux élections a dit à tous ses partenaires de la coalition Diomaye président que son parti souhaite aller seul à ces élections législatives, sans aucun allié. Il a ajouté qu’il ferait lui-même le choix de trier quelques leaders parmi ses alliés pour les mettre dans la liste Pastef. Ce qui a fait d’ailleurs que certains responsables de premier plan de la coalition au pouvoir en sont sortis. C’est le cas de Me Moussa Diop qui est un grand tribun, parmi les premiers soutiens de la coalition. C’est le cas de l’ancien ministre du budget Birima Mangara qui est aussi un cacique de la coalition, qui réfléchissait beaucoup sur les stratégies financières, budgétaires. Il a claqué la porte pour signifier qu’il n’est pas un faire-valoir. Donc, la coalition qui a porté Bassirou Diomaye Faye au pouvoir n’est pas celle qui ira aux législatives. Numériquement, ça peut avoir ses effets. Mais la dynamique est encore du côté du pouvoir, étant donné que l’opposition est très éclatée depuis le départ du président Macky Sall. Beaucoup de leaders qui étaient avec lui ont en effet, soit créé leur mouvement, soit ont mis en place leur liste parallèle, différente de la liste APR.

Comment analysez-vous le retour de l’ancien président Macky Sall comme chef de file de l’opposition alors qu’il semblait avoir pris sa retraite politique ? Que penser de l’alliance APR-PDS ?

Alors, Macky Sall n’a jamais pris sa retraite, n’a jamais quitté ses fonctions de président de l’Alliance pour la République, son parti. Il a quitté le pays pour le Maroc, mais on ne s’attendait peut-être pas à son implication directe dans des joutes électorales pour plusieurs considérations. Pourquoi Macky Sall s’allie avec le PDS ? Parce que c’est une sorte de reconstitution de ce que son prédécesseur appelait la « grande famille libérale ». Il n’y a pas que APR-PDS qui caractérise cette alliance, il y aussi le parti Rewmi de l’ancien premier ministre Idrissa Seck, poids lourd de l’échiquier politique. C’est donc une alliance de circonstances, mais qui idéologiquement, peut s’expliquer parce que tout ce monde fait partie de la grande famille d’Abdoulaye Wade, selon la logique « sauvons ce qui peut être sauvé pour faire face au régime en place ».

Depuis son accession au pouvoir, le couple exécutif a lancé une série d’audits des comptes publics, des contrats d’exploitation de gisements d’hydrocarbures, a également donné des gages en faveur de la régularisation du secteur de la pêche artisanale ou contre la vie chère. Quel bilan faites-vous de ces premiers mois de gouvernance ?

En réalité, les gens veulent que ceux qui ont tenu les comptes du pays, rendent compte. On oppose souvent reddition de comptes et règlement de compte. Le pouvoir a quand même donné des gages, au moins sur un plan formel pour dire qu’il ne s’agira pas de règlement de compte mais tous ceux qui ont géré l’argent public rendront compte de leur gestion. Mais il faut savoir une chose : l’architecture juridictionnelle du Sénégal ne permet pas, en l’état des choses, de poursuivre un chef d’État. Le président Macky Sall ne peut être poursuivi que pour haute trahison. C’est-à-dire qu’il ne peut pas l’être pour détournement.

Mais là encore, il y a une contrainte parce que le président et les ministres ne sont traduisibles que devant la Haute Cour de Justice. Or, cette dernière n’existe pas actuellement. Voilà l’enjeu de ces élections législatives parce qu’au lendemain du scrutin, si le Pastef obtient une majorité confortable, il va vouloir faire une réforme constitutionnelle, via l’Assemblée nationale, pour établir la Haute Cour de Justice qui nécessite un vote aux trois cinquièmes, soit bien plus que la majorité : 99 députés sur 165. Sans cet instrument, ni les ministres, ni l’ancien président de la République ne pourront être poursuivis pour leur gestion.

Or, Ousmane Sonko met un point d’honneur à faire rendre gorge à ceux qui ont dilapidé les ressources du pays. On se souvient de sa fameuse conférence de presse où il a dit qu’ils ont menti au pays et qu’on ne retrouve pas la trace de 2.500 milliards de francs CFA. C’est peut-être ce qui explique d’ailleurs que Ousmane Sonko a voulu sécuriser son quotient électoral, avec une majorité qui lui sera propre, parce qu’il sait que s’il obtient une coalition large à l’Assemblée nationale, certains sont susceptibles de le lâcher. Au cours de la 14e législature, il avait une large coalition avec Taxawu de Khalifa Sall et le PDS de Karim Wade, qui a fini par éclater. Il a appris de ses erreurs et s’est dit qu’il va chercher seul des députés qui lui seront fidèles.

L’enjeu pour le président Macky Sall c’est surtout de sauver sa tête pour contrer la mise en place de la Haute Cour de Justice. Il sait que s’il n’y a pas de Haute Cour de Justice, il n’y a pas de procès contre lui et il est tranquille pour l’éternité. Il est le plus à même de mobiliser ses électeurs. Mais il ne commettra pas l’erreur de venir dans le pays. Certains ironisent en disant qu’il fera une campagne Whatsapp, ce qu’il a commencé à faire. De plus, dans la perspective de poursuites, le pouvoir pourrait l’empêcher de sortir du territoire, au moins par mesure conservatoire. Macky Sall veut empêcher le pouvoir d’avoir le nombre de députés requis pour parachever ses réformes.

Le 21 septembre, le ministre de l’Interieur et de la sécurité publique a lancé un dialogue sur le processus électoral, rendez-vous au cours duquel l’opposition, rassemblée au sein de l’Alliance pour la transparence des élections (ATEL) a claqué la porte. Elle reproche au pouvoir son manque de concertation et le délai de 2 mois avant la convocation du corps électoral au lieu de 5 habituellement. Que répondez-vous à ces critiques ?

Le pouvoir a joué de la ruse, ça c’est clair. Ce n’est même pas le ministre de l’Intérieur, c’est le président de la République. Il reçoit un avis du Conseil constitutionnel le 12 juillet qui lui dit qu’il peut dissoudre l’Assemblée à partir du 12 septembre. Jusqu’au jour J, il n’a rien dit à personne et a gardé cet avis du Conseil constitutionnel pour lui et ses partisans. Il s’est préparé presque en catimini. Il décide aussi de prendre le délai le plus court pour l’organisation des élections. Celui-ci doit être de 60 à 90 jours. Il a choisi le dimanche le plus proche des 60 jours. Ce n’était pas dans la tradition sénégalaise. Les élections étaient toujours l’émanation d’une concertation électorale. Le dialogue a été engagé à postériori seulement, quand la date a été choisie. C’est bien la première fois depuis le code consensuel de 1992 qu’on part à des élections sans un minimum de consensus.

Particulièrement attendu, le discours de politique générale du Premier ministre Ousmane Sonko n’a pas encore eu lieu. L’opposition évoque la crainte d’une motion de censure. Comment l’expliquez-vous ?

L’opposition était dans son droit de dire que le premier ministre avait peur. À raison parce qu’il n’avait pas la majorité à l’Assemblée et que l’opposition a tout de suite brandi la menace d’une motion de censure. Le Premier ministre a joué de manœuvres avec la complicité du Président de la République.

Enfin, en cas de victoire, qui plus est à la majorité absolue, quelles seront les priorités mises à l’agenda législatif de la nouvelle Assemblée nationale ?

Je pense que l’enjeu n’est même pas d’avoir la majorité absolue mais aux trois cinquièmes parce qu’un des chantiers de cette législature sera de mettre en place la Haute Cour de Justice qui est la seule habilitée à juger les ministres et le président de la République. Parque qu’ils mettent un point d’honneur à la reddition de comptes. Et aussi de mettre en place un parquet judiciaire financier qui va se mettre à traquer la prévarication des ressources.

Evidemment ce n’est pas gagné. Les partisans du Pastef ont le vent en poupe mais les autres se cachent, une majorité silencieuse possiblement, qui peut être déçue par les 6 premiers mois de gouvernance. Parce que rien n’a changé. La vie chère est toujours là et le pouvoir prévient les Sénégalais de s’attendre à des lendemains difficiles. Ça a pu en refroidir certains. Pendant la campagne quand même, Ousmane Sonko a répété qu’en deux mois il règlerait les problèmes. C’est les mêmes aujourd’hui qui parlent de lendemains difficiles parce qu’ils ont retrouvé les comptes de l’État au 4e sous-sol. Ils anticipent sur les difficultés que vont subir les populations. Est-ce que cela va se traduire dans les urnes ? Le Sénégal a cette particularité qu’on ne peut jamais prédire l’issue d’un scrutin.

Abdoulaye Cissé, Editorialiste au groupe Futurs Médias

Teria News

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