Avec sa capitale Port-au-Prince aux mains des gangs, une présidence assassinée depuis 2021 et un Premier ministre interdit de territoire, Haïti s’enfonce dans la pire crise politique de son histoire. Suite à l’évacuation de plusieurs diplomates occidentaux, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) convoque une réunion de crise, en Jamaïque, ce lundi 11 mars.
C’est en partie l’histoire de la créature qui a échappé au maître. La montée en puissance des gangs haïtiens est indissociable de la complaisance d’une frange de l’élite politique laquelle, s’est appuyée sur ces groupes pour faire régner l’ordre au milieu de soulèvements populaires. L’affaire PetroCaribe, du nom de l’accord de coopération énergétique lancé en juin 2005 par le président vénézuélien Hugo Chavez, a mis le feu aux poudres d’un climat politico-social déjà précaire.
Aux côtés d’une quinzaine de pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, Haïti bénéficiait d’une livraison d’or noir à des tarifs préférentiels, accompagnés de facilités de payement. Toutefois, en 2019, un audit de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif couvrant la période de septembre 2008 à septembre 2016 et les présidences de René Préval (mai 2006 à mai 2011), de Michel Martelly (mai 2011 à février 2016) et Jocelerme Privert (février 2016 à février 2017) révèle des irrégularités s’élevant à 3.8 milliards de dollars. L’ampleur des détournements provoque un scandale politico-économique et dans leur foulée, plusieurs soulèvements populaires. Mal contenus par les autorités, les gangs armés à cet effet, ont alors été associés à leur répression. Leur prise de contrôle signe la fin du monopole de la violence légitime, définition de l’Etat moderne et ainsi, l’effondrement de l’Etat haïtien.
Anarchie et règne des gangs
Les gangs qui contrôlent 80% du territoire ont déclaré une guerre totale au dernier représentant du pouvoir d’Etat. Premier ministre par intérim depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, les chefs de gang reprochent à Ariel Henri de jouer les prolongations. Alors qu’il s’était engagé à organiser des élections en février, le Premier ministre haïtien ne donne aucun signe dans cette direction. Pis, les gangs et une partie de la population critiquent son voyage au Kenya visant à entériner l’accueil d’une mission onusienne de police conduite par Nairobi. Sans légitimité aux yeux de ses détracteurs, cette initiative est interprétée comme l’ultime provocation de l’exécutif. D’autant, que les populations gardent un souvenir douloureux de la dernière mission de l’ONU dans le pays.
Présente de 2004 à 2017, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) est en effet, surtout dans la mémoire des Haïtiens, remémorée pour avoir provoqué une épidémie de choléra. Une défiance à l’égard des missions internationales renforcée par les témoignages d’abus sexuels perpétrés par certains casques bleus. Dans ce contexte, Jimmy “Barbecue” Chérizier, chef du gang le plus puissant de Port-au-Prince, le G-9, s’est donné pour mission de renverser Ariel Henry afin de « libérer » les 11.7 millions de Haïtiens de son pouvoir « anti-démocratique ».
Un pays exsangue pour une communauté internationale impuissante
Les habitants fuient la capitale, loin de Port-au-Prince, de ses balles perdues et de la terreur installée par les gangs. Commissariats, tribunaux ou prisons dont 3 800 détenus se sont évadés le 3 mars dernier, forçant les autorités à décréter l’état d’urgence et un couvre-feu, ces derniers ont pris le contrôle des points stratégiques de la ville et défient ouvertement le pouvoir de Ariel Henri. En exil forcé depuis son départ du Kenya, le Premier ministre haïtien est bloqué à Porto Rico, en territoire américain.
Dans ce contexte, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) a convié des représentants des États-Unis, de la France, du Canada et de l’ONU à une réunion, lundi 11 mars, en Jamaïque pour discuter de cette flambée de violence. « Des questions cruciales pour la stabilisation de la sécurité et la fourniture d’une aide humanitaire urgente [seront abordées]. Les criminels ont pris le contrôle du pays. Il n’y a pas de gouvernement, c’est en train de devenir une société en faillite », a déclaré Mohamed Irfaan Ali, président du Guyana et président en exercice de CARICOM.
Avec Port-au-Prince en « état de siège », son aéroport et son port sont hors service depuis jeudi 7 mars. Dimanche, les États-Unis, suivis de plusieurs pays européens, ont procédé à l’évacuation de leur personnel non-essentiel. 362 000 personnes, dont plus de la moitié sont des enfants, sont actuellement déplacés.
Teria News