Succès Masra ou la figure de l’opportunisme politique en Afrique. Nommé Premier ministre de la Transition par Mahamat Idriss Déby lundi 1^er janvier, le président du parti Les Transformateurs troque ses habits d’opposant pour les attraits du pouvoir. Quid des plus de 300 morts tués dans la répression sanglante des manifestations du 20 octobre 2022 auxquelles il avait pourtant appelé ?

En Afrique, n’est pas opposant qui veut, mais qui peut. Comme Succès Masra, avant lui, nombre de figures politiques sur le continent ont fait le choix de franchir le rubicond en quittant « l’ombre » pour la « lumière ». Après un temps plus ou moins long passé dans l’opposition, même radicale, à un régime donné, plusieurs personnalités publiques africaines ont, à la grande surprise de leurs partisans qui, pour certains, ont tout bravé pour suivre leurs mots d’ordre, fini par rejoindre les rangs d’un pouvoir qu’ils s’étaient pourtant évertués à combattre. De quoi plonger les peuples dans la confusion, interroger les convictions politiques qui les animent et jeter le discrédit sur la classe politique.

Un an d’exil après le « jeudi noir »

Désormais ex-opposant, Succès Masra relègue Saleh Kebzabo aux oubliettes. Opposant historique à feu Idriss Déby Itno, son désormais prédécesseur, lui aussi, avait déposé le tablier de la dissidence pour le pouvoir, hypothéquant ainsi un crédit politique acquis de haute lutte.

Le président du parti Les Transformateur était, avant son exil, devenu une figure de proue de l’opposition à Mahamat Idriss Déby Itno qui a succédé à son père à la faveur d’un coup d’État institutionnel après le décès de ce dernier, survenu en avril 2021. Succès Masra s’était particulièrement illustré comme leader de la fronde contre la prolongation de la Transition entérinée par les accords issus du Dialogue National Souverain et Inclusif (DNSI). Alors qu’il devait conduire une Transition initiale de 18 mois, renouvelable une fois et s’était engagé à ne pas de présenter aux élections appelées à clôturer ce régime d’exception, Mahamat Idriss Déby a obtenu une prolongation de 24 mois ainsi que la possibilité de se présenter aux élections devant permettre un retour à « l’ordre constitutionnel ».

Désireux de marquer la fin de la Transition initiale de 18 mois et protester contre la prolongation de celle-ci, le 20 octobre 2022, plusieurs milliers de manifestants ont déferlé dans les rues des principaux centre urbains du Tchad. Des manifestations réprimées dans le sang avec cinquante morts, selon le pouvoir ; plus de 300 selon l’opposition, des ONG nationales et internationales et un rapport d’experts mandatés par les Nations unies.

Après un an d’exil, notamment aux États-Unis et en Europe, un mandat d’arrêt international émis contre lui pour « tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel » et « incitation à un soulèvement insurrectionnel », Succès Masra est rentré au Tchad le 3 novembre 2023 après avoir signé un « accord de réconciliation » avec le pouvoir.

Les grandes transhumances des oppositions africaines

Dénoncé comme un « accord de dupes » par le reste de l’opposition, le pacte prévoyait notamment une « amnistie générale » des responsables des meurtres de manifestants le 20 octobre 2022. Succès Masra avait, de plus, appelé la population tchadienne à voter « oui » lors du référendum constitutionnel du 17 décembre 2023, adopté par 86 % des voix et un taux de participation à 63,75 %. Concentrant les pouvoirs du chef de l’État, le scrutin qui maintient la forme de l’État unitaire décentralisé, a été boycotté par une partie de l’opposition.

En l’absence d’encrage idéologique des chapelles politiques lesquelles, fonctionnent pour la plupart autour de personnalités à défaut d’idées, la transhumance des élites du continent accroit le fossé entre les peuples et leurs élites dont l’opportunisme politique entame la confiance. Temporairement du mauvais côté du rapport de force, certains acquièrent un crédit politique monnayable par la suite auprès du pouvoir, participant ainsi à sa légitimation. En somme, un chantage politique devenu, avec le temps, une forme comme une autre d’accès au pouvoir d’État.

Teria News