Surnommée la « Jeanne d’Arc congolaise », Kimpa Vita initia un mouvement de réinterprétation afro-centrée du catholicisme. Figure d’Afrique centrale (Angola, RDC, Congo), la « Prophète de l’unité » œuvra pour la réunification du royaume Kongo (XVIIe siècle), alors sous domination portugaise. Découvrez cette figure du nationalisme et de l’anticolonialisme, mère de l’unité africaine.
Kimpa Vita naît vers 1684, dans une famille noble au Mont Kibangu, situé à Mbanzakongo, une localité appartenant au territoire de l’actuel Angola. Elle sera baptisée à une date inconnue, par un prêtre métis originaire d’Angola, Luis de Mendonça, d’après certaines sources. Kimpa Vita grandit à une époque où la guerre civile fait rage entre différentes factions au sein du royaume de Kongo, affaibli par des conflits incessants avec le Portugal et certains peuples voisins.
Éduquée dans la foi catholique, elle sera dans le même temps, formée à exercer le métier de Nganga marinda, en d’autres termes, guérisseuse du mal et intermédiaire entre la vie et la mort, les vivants et les ancêtres, une sorte de medium. Elle sera alors initiée au sein de la société secrète dite Kimpasi, laquelle s’est donnée pour mission de délivrer les personnes des forces du mal à travers des cérémonies d’exorcisme appelées Mbumba kindonga. Aussi, très tôt, dès son plus jeune âge, Kimpa Vita avait de nombreuses visions. Ces divers antécédents seront à l’origine de son orientation vers la vie spirituelle à l’âge adulte, notamment sa consécration à la suite de ses deux mariages. En effet, après son deuxième divorce, Kimpa Vita sera sacrée Prophétesse de la tribu Kongo, vivant sur un espace situé aujourd’hui à cheval sur les territoires de trois pays : la République Démocratique du Congo, le Congo démocratique et l’Angola.
Une prêtresse antonianiste africaine
Davantage connue sous le nom portugais de Dona Beatriz, Kimpa Vita fonda et dirigea vers 1704 le mouvement antonianiste, un syncrétisme dont les principes fondamentaux puisent dans des éléments du christianisme, croisé avec des pratiques religieuses africaines.
Dans ses derniers jours, Kimpa Vita tomba gravement malade. Suite à sa guérison, elle affirma être allée au ciel et en être revenue comme une réincarnation de Saint Antoine de Padoue noir : elle venait ainsi de trouver sa raison d’être. De cet événement découlera le sens de tous ses combats.
La Prophétesse enseignait que les missionnaires blancs avaient simplement dénaturé le message divin pour tromper la population noire. Elle prétendait mourir chaque vendredi et ressusciter chaque dimanche, après avoir passé deux jours à s’entretenir avec Dieu. Recevant de Dieu les messages de ses ancêtres par l’intermédiaire de Saint Antoine de Padoue, elle soutenait que Jésus était né à Mbanza au Kongo et était de race noire, de même que ses apôtres ainsi que de nombreux personnages bibliques. Elle appelait en somme à une réinterprétation afro-centrée du catholicisme.
En réalité, Kimpa Vita ne fut pas la première à évoquer un Christ noir. Cependant, la particularité de son message résidait dans le fait que son discours promettait un salut collectif. Par ailleurs, la Prophétesse sera à l’origine de nouvelles versions de l’Ave Maria et du Salve Regina, parmi les prières les plus récitées du catholicisme, dédiées à la Sainte Vierge qu’elle transforme en « Salve Antoniana ». Reconnaissant l’autorité du pape, elle se montra hostile aux missionnaires européens, principalement actifs sur la côte atlantique.
Prophétesse, mais pas que…
Corrélativement à son mouvement, Dona Beatriz s’opposera à l’anarchie portugaise. Elle luttera pour des causes politiques, notamment en faveur de l’affranchissement du joug portugais qui cherchait à étendre sa domination sur le royaume Kongo. En moins de deux ans, elle put rallier de nombreux adeptes à sa cause car entre autres, son message prônait le ralliement à la capitale abandonnée du Mbanzakongo. Elle invita les exilés à la repeupler. Ainsi, la Prophétesse annonçait-t-elle que Dieu punirait les habitants du royaume si ce dernier n’était pas réunifié, avec pour capitale São Salvador. Son action en faveur de la réunification du royaume Kongo, alors divisé, lui vaudra le titre de la « Prophète de l’unité ».
En outre, il est utile de rappeler le contexte contemporain au royaume Kongo, au 17ème siècle. Depuis quatre décennies en effet, le Kongo était divisé. À son apogée, il s’étendait du nord-ouest de l’Angola à la région du centre sud du Gabon. Il était christianisé, l’évangélisation ayant commencé dès la fin du Xe siècle et le pouvoir de l’Eglise y était puissant.
Jusqu’ici royaume le plus riche et le plus puissant d’Afrique centrale, la deuxième moitié du XVIIe siècle sera cependant éprouvante pour le Kongo, notamment en raison de l’occupation portugaise. La décapitation du roi Antonio 1er du Kongo par les Portugais en 1665 à la Bataille d’Ambuila, fut le couronnement de l’instabilité du royaume. La capitale Mbanzakongo est abandonnée et les divisions autour de la succession du roi font rage entre les nobles du royaume : c’est dans un tel contexte d’instabilité que l’action fédératrice de Kimpa Vita prit corps.
La fin de la prêtresse hérétique
D’une manière générale, le message prôné par Dona Beatriz n’effrayait, en réalité, pas les Bakongo (peuple du royaume Kongo), mais plutôt les Portugais. Ainsi, s’attira-t-elle les foudres de l’église catholique, à l’affut de la moindre occasion pour lui porter préjudice. L’opportunité se présenta lorsque Dona Beatriz, qui prêchait la chasteté, tomba enceinte de l’un de ses fidèles. Sentant son statut menacé, elle se réfugia dans un lieu secret pour accoucher. Considérée par le catholicisme comme une hérétique, elle sera recherchée par le Roi qui mandatera le général Pedro IX de la retrouver.
Elle sera finalement arrêtée par les troupes du Roi Pedro. Le destin de l’enfant reste incertain jusqu’à ce jour. En effet, si la tradition orale soutient une version selon laquelle il aurait été brûlé avec elle en 1706, selon les moines, le nourrisson aurait été épargné.
Son secret dévoilé et son bébé arraché, Dona Beatriz est capturée par les moines capucins et condamnée pour sorcellerie. Après avoir confessé ses péchés, elle fut brûlée avec son compagnon et « ange gardien », João Barro par les capucins dirigés par le frère Bernardo Da Gallo, sous les ordres du Général Pedro IV du Kongo, le 2 Juillet 1706 à Évolulu, une ville du territoire de l’actuel Angola.
Mère de l’unité africaine
On note une abondante littérature sur la vie de Kimpa Vita, figure du nationalisme et de l’anticolonialisme. Elle fait partie des rares personnalités ayant vécu sur la côte atlantique de l’Afrique à cette époque au sujet desquelles il existe d’aussi nombreuses sources écrites. Plusieurs journaux, rapports et lettres de quatre missionnaires capucins italiens actifs dans la région, notamment Luca da Caltanisetta, Marcellino d’Atri, Bernardo da Gallo et Lorenzo da Lucca, relatent sa vie. Toutefois, l’essentiel de ce que l’on sait de Kimpa Vita provient des archives du frère Bernardo da Gallo, le moine capucin qui l’a condamnée au bûcher.
Figure fondatrice du mouvement antonianiste, Dona Beatriz aura le grand mérite d’avoir pu, malgré la courte période de son activité, réaliser deux actes majeurs, notamment son combat pour l’unification du royaume du Kongo et l’initiation d’un christianisme africain.
Au premier abord, il est utile de souligner que l’action unificatrice de Kimpa Vita fut salvatrice, en raison du contexte politique du royaume au XVIIe siècle. Le Kongo s’étendant sur les territoires actuels de trois pays africains, elle a le mérite d’être aujourd’hui célébrée dans cette région, mais également à l’international comme la mère de l’unité africaine.
Par ailleurs, malgré la défaite de ses disciples dans les années qui suivirent sa disparition, le mouvement antonianiste survécut. Il fut d’abord combattu par les missionnaires catholiques aux XVIIIe et XlXe siècles cependant, beaucoup d’autres mouvements africains d’inspiration chrétienne existant jusqu’à aujourd’hui au Congo, comme ailleurs sur le continent, s’inspireront de son mouvement.
Les messianismes congolais et angolais du XXe siècle tels le Matswanisme, le Kimbanguisme, le Quimbandisme et le Tocoisme, toujours actifs, font référence à la figure de Kimpa Vita. Fondée dans les années 1920, l’église kimbanguiste, est parfois considérée comme le successeur de l’Antonianisme.
Dona Beatriz est parfois surnommée la « Jeanne d’Arc congolaise » en raison des similitudes entre sa biographie et celle de la « Pucelle d’Orléan », brûlée vive à Rouen (France) en 1431. Par ailleurs, depuis 2009, l’université de Uíge, en Angola, est appelée « Université Kimpa Vita ». Elle demeure un symbole d’unité, d’adaptabilité des religions importées aux cultures locales et d’autodétermination.
Maggy Lynn