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« Les Héroïnes » : Yaa Asantewaa, le destin royal d’une fermière

De simple fermière, Yaa Asantewaa devint Reine-Mère puis Régente Ashanti à une période charnière de l’histoire de l’Empire: elle initia et mena la résistance contre le colon britannique. Yaa Asantewaa fut même nommée Cheffe de guerre à la suite d’un discours historique.

Modeste fermière qui s’attelait à agrandir ses exploitations (lesquelles sont par ailleurs toujours entretenues par ses descendants), Yaa Asantewaa naquit vers les années 1840 à Besease, une localité située sur le territoire de l’actuel Ghana. Elle épousa Nana Owusu Kwabena, un membre de la famille royale. Son frère Nana Kwasi Afrane Okpese, alors Chef de la ville d’Ejisu, la promut Reine-Mère.

Une société paritaire          

Il convient de relever que l’Empire Ashanti était déjà très organisé à cette époque. En effet, dirigé par un Souverain, l’Empire était réparti en plusieurs villes ou provinces, gouvernées chacune par un dirigeant ou Chef parfois appelé Roi. Les femmes participaient non seulement aux procédures judiciaires et législatives, mais aussi au partage des terres et à la décision d’entrer en guerre ou d’y mettre fin.

Le système sociétal était paritaire, la société Ashanti valorisant autant les hommes que les femmes. Ces dernières étaient en effet associées aux fonctions administratives comme politiques, chaque poste masculin disposant de son analogue féminin.

De la ferme à la royauté

Ainsi catapultée au cœur de la haute société Ashanti, la Reine-Mère était témoin de l’accroissement du pouvoir du colon britannique. Ce qui n’était pas du tout à son goût. Elle verra également la Confédération Ashanti lutter contre une série d’évènements menaçant son futur, notamment la guerre civile de 1883 à 1888. 

En 1894, le Chef d’Ejisu décéda. La Reine-Mère usera alors de ses prérogatives pour favoriser l’élection de son petit-fils Ejisuhene au rang de nouveau Chef. Ce fut précisément à cette même époque que les colons britanniques lancèrent une campagne de déstabilisation des royaumes internes à l’Empire, notamment au moyen de la stratégie d’exil contraint des chefs. Dès 1896, l’Empereur Prempeh I et le Roi Ejisuhene feront malheureusement partie des responsables politiques exilés. Elle fut alors la seule en position d’accéder au titre de Régente.

Une régence à toutes épreuves 

Désormais Régente, Yaa Asantewaa ne cacha pas son aversion pour l’occupation de l’Empire Ashanti par les colons britanniques. Ces derniers continuèrent en effet à développer toutes sortes de stratégies susceptibles d’entraîner la destruction de la structure interne même de l’Empire.

Ainsi, à la suite de l’exil de l’Empereur, le gouverneur britannique Frederick Hodgson réclama-t-il le Siège d’Or, symbole consacré de l’Empire, vecteur du pouvoir et de la royauté en pays Ashanti. Cette proposition sera accueillie par une objection catégorique de la Régente. Face à une telle exigence, le retour du Roi au sein du royaume fut envisagé lors d’une Assemblée.

Pendant que certains membres restants du gouvernement étaient perplexes, Yaa Asantewaa, seule femme présente prononça un discours demeuré aujourd’hui célèbre :

« Comment un peuple fier comme les Ashantis peut regarder sans rien faire alors que les Blancs enlèvent leur chef et les humilient ensuite par des demandes relatives au Siège d’Or ? Les Blancs ne voient que de l’argent dans le Siège d’Or.

Ils ont creusé et cherché partout pour le trouver. Je ne paierai pas une pièce à ce gouverneur. Si vous, les chefs Ashanti, allez vous comporter comme des peureux et ne pas vous battre, vous devriez échanger vos pagnes contre mes sous-vêtements. Je vois que certains d’entre vous ont peur de se battre pour notre Roi. Aux temps d’Osei Tutu, d’Okomfo Anokye et d’Opoku Ware I, les chefs ne seraient pas restés assis à regarder leur Roi être exilé sans tirer un seul coup de feu. Aucun Européen n’aurait osé parler aux chefs Ashanti comme le gouverneur vous a parlé ce matin. C’est donc vrai que le courage Ashanti n’est plus ? Je ne peux pas le croire. Ça ne peut être vrai ! Je dois vous dire ceci : si les hommes Ashanti ne vont pas au front, nous le ferons. Nous, les femmes, nous le ferons. Nous nous battrons ! Nous nous battrons jusqu’à ce que la dernière d’entre nous tombe sur le champ de bataille. »

À la suite de cette déclaration, Yaa Asantewaa sera nommée par un nombre important de rois de régions de l’Empire Ashanti comme Cheffe de guerre, une première et un fait unique en son genre dans l’histoire Ashanti. Elle sera également au front à plusieurs reprises pour donner des conseils et assister les guerriers Ashanti et ce, à 60 ans passés !

La bataille du Tabouret d’Or   

En 1900, face à la demande insistante des Britanniques et pour défendre le Trône d’Or, le bien le plus sacré chez les Ashanti, Yaa Asantewaa prit la tête d’une rébellion contre les colons anglais dénommée la « Guerre du Tabouret d’Or », la dernière du royaume Ashanti.  Le fort de l’actuelle ville de Kumasi où s’étaient réfugiés les colons depuis un moment déjà, sera rapidement assiégé en mars 1900 par la rébellion. Les troupes accompagnant la Reine-Mère dénombraient cinq mille (5 000) individus pour un conflit qui durera au total 11 mois.  Elle fit de sa ville natale Ejisu le siège de la guerre. En plus de ce mouvement de révolte anticolonialiste que dirigeait la Reine-Mère, le gouverneur sera informé d’une alliance probable avec l’Empire Wassoulou fondé par Samory Touré, autre grand résistant à l’occupation impérialiste en Afrique.

Toutefois, la réaction des Britanniques ne se fit pas attendre. Au bout de plusieurs mois d’état de siège, 1 400 hommes seront envoyés en renfort par le gouverneur général, auxquels 1 200 soldats seront rajoutés. Les Britanniques l’emportèrent, contraignant à l’exil aux Seychelles Yaa Asantewaa et quinze de ses conseillers les plus proches, capturés le 3 Mars 1901. À la suite de presque un siècle de résistance acharnée de l’armée Ashanti, l’Empire Ashanti est proclamé Protectorat de la couronne britannique le 1er janvier 1902.

Retenue en exil forcé, Yaa Asantewaa mourra aux Seychelles le 17 octobre 1921. Son décès déclenchera un processus qui permit le retour au pays le 27 décembre 1924 du Souverain Prempeh I et des membres de la cour Ashanti en exil, désormais autorisés à rentrer chez eux. L’Empereur veillera à ce que la dépouille mortuaire de Yaa Asantewaa, ainsi que celles des autres exilés décédés, soient ramenées sur le sol Ashanti afin de leur rendre les obsèques dignes.

Le glorieux héritage d’une Reine

Le rêve de Yaa Asantewaa était de voir les Ashantis libérés du joug britannique. Ce rêve se réalisa le 6 mars 1957, date d’indépendance du Protectorat désormais sous le nom Ghana, la première nation d’Afrique subsaharienne à accomplir cet exploit.

Son plus grand mérite fut sa décision de prendre les devants d’une rébellion, incarnant ainsi une sorte de Wonder Woman du XXe siècle, ce pourquoi les Ghanéens continuent de le lui rendre hommage. Cette héroïne demeure une figure patriotique pour tout le Ghana et en particulier un modèle pour la gent féminine. Tout au long de sa vie, elle a défendu ce qu’elle croyait être la sainteté de sa terre, de sa culture et de sa langue. Un musée portant son nom fut érigé en 2000 à Kwaso, le district de sa ville natale, siège de la résistance. Le premier établissement secondaire de Kumasi porte son nom : le « Lycée de filles Yaa Asantewaa ». La Reine-Mère s’est même laissée emporter à l’Ouest de Londres où un Centre d’Art et de Culture a aussi été baptisé d’après son nom.

Maggy Lynn

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