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Aïvo et Madougou condamnés, le Bénin est-il en récession démocratique ?

Avec les condamnations coup sur coup de deux opposants politiques par la CRIET, le Bénin, longtemps considéré comme un pôle démocratique en Afrique, s’enfonce-t-il dans une phase de récession démocratique ?   

Inédit au Bénin depuis la Conférence des Forces vives de la Nation de 1990 qui, exportée aux quatre coins du continent, inaugura l’ère du Renouveau démocratique, deux opposants se voient successivement condamnés à des peines d’emprisonnement abyssales. Il fallait que le couperet tombe du haut de la décriée Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) laquelle, survivant aux critiques, toutes plus passionnées les unes que les autres, l’assimilant à une machine à broyer l’opposition au régime de la « rupture », vient de condamner Joël Aïvo et Reckya Madougou à respectivement 10 et 20 ans de prison. Communauté internationale et observateurs s’émeuvent en concert : 30 années d’acquis démocratiques ont-elles été renversées par 5 ans de présidence Talon ?

Si depuis 2016 les libertés publiques ont marqué un net recul, notamment avec une dégringolade de la 78e à la 114e place sur 180 dans le classement sur la liberté de la presse de Reporter sans frontières, également baromètre de la liberté d’expression, ou avec la limitation du droit de grève ; si l’opération mains propres du régime, promue comme catalyseur de bonne gouvernance sur fond de lutte contre l’impunité des cols blancs, a également eu l’avantage d’écarter des rivaux politiques, les dernières sentences prononcées par la CRIET se situent dans une zone plus grise.

Isolé dans la sous-région, ostracisé par ses pairs et en froid avec les caciques de l’ancien régime de son prédécesseur Thomas Boni Yayi qui ont, via les réseaux sociaux, juré de le renverser par tous les moyens au motif que « Cinq ans, c’est cinq ans », le président Patrice Talon a fait face à une hostilité exceptionnelle depuis son entrée en fonction. En 30 ans de Renouveau démocratique, jamais le climat politique national n’avait été aussi polarisé.

De l’extérieur, peu ont su résister à la tentation de poser un prisme occidental sur le contexte béninois. Comme à l’égard du reste de l’Afrique, une majorité d’observateurs appliquent au Bénin une grille aussi binaire que manichéenne dans laquelle il y a des bons et des méchants, des pro-démocratie et des autocrates. À ce jeu, les opposants, gages du multipartisme, de la compétition politique, en somme prunelles de la démocratie, sont angélisés. Une dichotomie idéologique qui existe pourtant peu sous nos cieux où rivalités et inimitiés sont davantage structurées par des conflits entre personnalités, des logiques de clan, le tout chapeauté par une politique du ventre. Il n’y a qu’à voir avec quelle rapidité les uns et les autres changent d’allégeance avec l’appât d’un poste leur assurant confort et prestige. Face au sonnant et trébuchant, on se dédie et se renie sans gêne aucune ! « Il est né avant la honte », disent facilement les béninois. Mais peu le pensent vraiment. Leur passivité face à ce système de mercenariat politique fait office de complicité, de caution et le perpétue.   

Parmi les constitutionnalistes les plus brillants de sa génération, l’arrestation brutale, la détention puis la peine de Joël Aïvo pour atteinte à la sûreté de l’État et blanchiment de capitaux est un spectacle désolant. « Ce n’est même plus la peine de venir encore plaider devant cette juridiction qui n’est rien d’autre qu’une fantaisie. C’est du folklore. Je suis déçu pour mon pays. C’est regrettable pour un État de droit. C’est une période sombre de l’histoire de notre pays. Ça va vite passer. C’est maintenant que le travail commence. On va se concerter pour savoir ce qu’il faut faire », a déclaré un de ses avocats, Maître Robert Dossou.

Leader de la campagne « Touche pas à ma Constitution » à la fin de Kerekou 2, l’ancienne garde des sceaux et ex-conseillère du président togolais Faure Gnassingbé, Reckya Madougou, est un cas plus troublant. « La roue de la terreur tourne : soutenez la dictature à l’Ouest, vous la subirez à l’Est », a réagi l’activiste togolaise Farida Bemba Nabourema qui, n’a cessé de rappeler la place de choix qu’occupait, il y a encore quelques mois, Reckya Madougou dans l’appareil répressif de la dictature togolaise et dont elle a personnellement fait les frais…

Dans cet imbroglio, reste que l’image du Bénin est à refaire. La campagne de relations publiques et de nation branding engagée sous le premier mandat, couronnée par les louanges des institutions de Bretton Woods, dont un prestigieux classement Doing business (label depuis aboli par la Banque mondiale), est aujourd’hui par terre. Le Bénin a besoin d’une remontada. Est-elle dans les cordes du présent régime ?

Teria News  

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