Invisibilisée dans les récits officiels du royaume du Danhomey, la Reine Tassi Hangbe créa le corps des Amazones, aujourd’hui érigées en emblème national du Bénin. Une revanche sur l’histoire incarnée par l’actrice hollywoodienne Viola Davis dans « The Woman King ». Découvrez le parcours de la Reine-Amazone qui prouva la valeur des femmes à la face du monde.
Unique femme ayant régné sur le trône de l’illustre royaume du Danhomey (1600 à 1894), situé dans le Sud-Ouest de l’actuel Bénin, un des plus célèbres royaumes d’Afrique et symbole de la lutte anti-impérialiste, Tassi Hangbe, jumelle du Roi Houessou-Akaba, deuxième Roi du royaume (1685 à 1708), a pris le pouvoir en 1708 suite au décès subit de son frère jumeau survenu juste à la veille d’une bataille décisive contre les voisins Ouémènou. Afin de maintenir le moral des troupes, un stratagème fut alors déployé : travestir la jumelle en son frère jumeau pour le remplacer au front à l’insu des soldats.
Ressemblant au défunt Roi et arborant une silhouette masculine, la princesse Tassi hangbe se prêta parfaitement au jeu. La bataille se solda par la victoire des troupes du Danhomey. Tassi Hangbe se fit alors découvrir et prit le pouvoir sous son vrai nom.
Le mérite d’une reine réformatrice, promotrice de la gent(e) féminine
Forte de son physique, la princesse désormais Reine Tassi Hangbe, mit très tôt en place un régiment constitué uniquement de femmes surnommées « Mi-non » (nos mères en langue Fon) par l’armée masculine. Plus tard, elles seront rebaptisées « Amazones du Dahomey » par les colons européens, en raison de leur similitude avec les Amazones mythiques de l’ancienne Anatolie.
En réalité, le Roi Houegbadja, premier Roi du royaume, qui régna de 1645 à 1685, fut le premier à transformer les femmes chasseuses d’éléphants appelées « Gbeto » en femmes-gardes du corps. Mais Tassi Hangbe fut la véritable créatrice du corps des Amazones en faisant évoluer leur statut.
Les Mi-non étaient sélectionnées de force dans le royaume, parmi les enfants d’esclaves et isolées au harem du Roi où on leur donnera à dessein une éducation essentiellement masculine aux fins d’en faire de rudes guerrières, à toutes épreuves. Certaines Amazones rejoignaient toutefois le harem de leur propre gré. Le choix se faisait également parmi les filles des sujets du Roi.
Les Mi-non, une organisation militaire ingénieuse
Les Mi-non sont regroupées en trois régiments en fonction du rang social de leurs familles : les Sous-officières « Ahouangan », les Soldates et les Officières « Gahu ». Une stratégie unique régnait pour toutes : tuer sans se soucier de sa propre vie. Pour cela, elles s’enivraient d’alcool avant d’aller au combat. Leurs captifs étaient généralement décapités.
L’organisation des Amazones, réparties en près de 5 000 guerrières en moyenne, était digne d’un ordre stratégique moderne. Leur entraînement était intensif depuis le jeune âge. On distinguait deux corps et cinq catégories de combattantes : le corps des « Aligossi » se chargeant de défendre le palais et d’assurer la protection du Roi et celui des « Djadokpo », avant-gardistes de l’armée régulière.
Parmi les combattantes figuraient : les « Agbaraya » (faucheuses) qui allaient au front armées de longues machettes prêtes à décapiter leurs adversaires ; les « Gbeto » (chasseresses) qui rampaient vers l’ennemi, couvertes par les fusilières en se dissimulant au sol pour décupler l’effet de surprise ; les « Galamentoh » (fusilières) qui étaient présentes en plus grand nombre, munies d’un fusil Winchester, d’un sabre et de poignards, excellant dans le corps à corps ; les Archères qui, équipées de flèches empoisonnées, se chargeaient de seconder les combattantes qui se livraient au corps à corps et enfin ; les « Nyckphehthentok » qui se chargaient de l’équarrissage.
Les Amazones avaient à leur tête une Cheffe des Amazones. En 1851, Seh-Dong-Hong-Beh (Dieu dit la vérité) la Cheffe des Amazones de ladite année dirigea une armée de 6 000 guerrières contre la forteresse Egba d’Abeokuta, un royaume voisin situé dans l’actuel Nigéria.
Privées du droit de procréer ou même de se marier, les Mi-non pouvaient cependant être offertes aux meilleurs guerriers ou données comme épouses au Roi. Le vœu de chasteté prononcé devant la divinité de la grossesse Dewin, la pratique de l’excision pour éviter les relations sexuelles de même que les potions contraceptives, ne purent les empêcher d’avoir des amants.
Par ailleurs, Tassi Hangbe militera également pour une égalité des sexes en instituant à l’intention des femmes du royaume, des formations à des métiers traditionnellement réservés aux hommes. Ainsi, les mêmes métiers pouvaient désormais être pratiqués tant par les hommes que par les femmes. On peut déjà relever ici que la promotion des femmes n’est point l’apanage de la culture occidentale.
Une Reine impopulaire, une mémoire tronquée
Le caractère de la Reine n’étant pas du goût de tous, sa destitution était souhaitée de beaucoup de dignitaires, notamment des partisans de son frère cadet, Agadja. Elle finit par abdiquer.
Malgré sa destitution, Tassi Hangbe prit parti pour son neveu Agbo Sassa une fois celui-ci parvenu à l’âge adulte. Ce dernier fut normalement pressenti pour lui succéder mais se heurta également à la rivalité de son oncle. Cette prise de position dans la nouvelle lutte pour le trône sera fatale à la Reine une fois le nouveau Roi Agadja intronisé. Paradoxalement, c’est sous le règne de ce dernier que les femmes gardes du corps deviendront pour la première fois une milice. Il les utilisera en 1727 pour vaincre le royaume Péda.
Peu d’écrits existent sur la vie et la régence de Tassi Hangbe. La plupart de ce qui nous est parvenu provient de récits oraux. Ce, parce que sa régence ne fut pas officiellement inscrite dans le récit des Rois d’Abomey. Sa mémoire a tout simplement été effacée.
Destituée, mais jusqu’au-boutiste
Selon plusieurs récits, à la suite de l’intronisation de son frère cadet, son fils unique fut mis à mort pour empêcher une quelconque réclamation au trône. Face à ces humiliations, Tassi Hangbe se déshabilla devant l’assemblée puis, se lava les parties intimes pour exprimer son mépris. On peut également retenir d’autres versions racontant qu’après sa chute, Tassi Hangbe prononça un discours dans lequel elle prédisait déjà la conquête du Danhomey par le colon.
L’héritage de Tassi Hangbe
Bien que le règne de Tassi Hangbe fut de courte durée, grâce à l’institution des Amazones, sa régence marqua une étape essentielle de l’histoire du royaume d’Abomey, aujourd’hui fierté nationale du peuple du Bénin et de l’Afrique toute entière. On la retrouve valablement au rang des femmes monarques du monde. Même si son histoire est peu connue, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale, de façon globale, les Amazones du Dahomey ont le mérite d’être reconnues comme un symbole de l’audace et de la bravoure du sexe féminin, de tout temps considéré comme faible.
Aujourd’hui encore, au palais d’Abomey, une représentante de l’unique Reine du Danhomey assume la charge des fétiches, continue de présider aux cultes annuels et est désignée pour régler les problèmes au sein de la collectivité. À la mort de celle-ci, une nouvelle Hangbe est désignée par le Fa (art divinatoire).
Enfin, les Amazones du Danhomey ont inspiré et inspirent toujours de nombreuses œuvres à travers le monde. Ainsi, on retrouve une abondante littérature louant leur bravoure. De nombreuses fictions s’en inspirent également sur le grand écran avec des productions hollywoodiennes : « Black Panther » (2018) et plus récemment « The Woman King » tourné en Afrique du Sud en novembre 2021 qui raconte la vie de « Nawi », la dernière Amazone et de sa mère. « Nawi » mourut en novembre 1979 à Kinta, un village de l’actuelle ville d’Abomey. Elle était âgée de plus de 100 ans. Le Bénin honore l’héritage de Tassi Hangbe avec la « Place de l’Amazone ». Au coeur de la capitale Cotonou, elle sera bientôt inaugurée comme la statue la plus majestueuse du pays et une des plus imposantes de la sous-région Ouest-Africaine.
Maggy Lynn