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Clôture du 3e sommet Afrique-Turquie: Onur Özçeri répond aux questions de Teria News

Lancé vendredi 17 décembre, le 3e sommet du partenariat Afrique-Turquie a réuni des leaders et ministres de 39 pays, dont 13 présidents. Il s’est ouvert moins de deux mois après le sommet de partenariat économique entre les deux espaces et est sensé avoir inauguré une « nouvelle étape dans les relations avec l’Union africaine et les pays africain », selon le ministre turc des Affaires étrangères. L’ambassadeur de Turquie au Bénin, Onur Özçeri, répond aux questions de Teria News.

Avec la présence de 43 représentations diplomatiques en 2021 contre 12 en 2002 et un volume d’échanges de 25,3 milliards de dollars fin 2020 contre 5,4 milliards en 2003, la Turquie laisse voir l’ampleur de ses ambitions en Afrique. Quelle est cette « nouvelle étape » qu’évoquait Mevlut Cavusoglu ?

Il faut replacer le sommet dans son contexte. C’est une dynamique qui continue. La Turquie a amorcé son ouverture à l’Afrique depuis plus d’une dizaine d’années. Il y a l’aspect bilatéral et l’aspect multilatéral. Concernant le premier aspect, le nombre d’ambassades turques en Afrique a augmenté, ces représentations avancent un agenda bilatéral. Celle de Cotonou a été ouverte en 2014. Concernant le second aspect, nous travaillons avec l’Union africaine. Le sommet de la semaine dernière à Istanbul est un sommet Turquie-Union Africaine. Les précédents ont eu lieu en 2008 et 2014. Bien sûr que l’approche multilatérale ne va pas de soi car en Afrique, l’Union africaine travaille encore à montrer son impact auprès des populations. De façon globale, la Turquie s’investit en Afrique parce que nous souhaitons travailler avec tous les pays du monde.

Nous avons beaucoup de liens avec l’Afrique, historiques et humains. Nous voulons dialoguer d’égal à égal. Nous voyons que l’Afrique a été colonisée et qu’après son indépendance, elle est empêchée de révéler son véritable potentiel. On se rend compte que beaucoup d’injustices sont faites à l’Afrique. Par exemple sa sous-représentation au Conseil de sécurité des Nations unies, son faible accès aux vaccins dans le cadre de la pandémie de Covid-19. Nous ne sommes pas insensibles à toutes ces problématiques. On veut dialoguer, discuter, mais aussi trouver des solutions ensemble, après tout, l’union fait la force. Nous souhaitons mettre les problèmes de l’Afrique sur le devant de la scène internationale. En 2021, on est déjà très avancé dans les relations entre la Turquie et les pays africains. On voit de plus en plus d’Africains s’installer en Turquie : des étudiants, des hommes d’affaires. Cet intérêt mutuel, nous le concrétisons avec des projets, catalysés par des rencontres comme ce 3e sommet Turquie-Afrique. Ce n’est pas que du déclaratif mais du concret.

Les objectifs du plan conjoint Turquie-Afrique (2015-2019) ont-ils été atteints ? Pouvez-vous nous parler des grandes lignes du nouveau programme de 5 ans en précisant les secteurs clés de cette nouvelle page du partenariat Afrique-Turquie ?

Ce sommet a été préparé depuis deux ans par la Turquie et par l’Union africaine. Les problématiques n’ont pas été imposées mais élaborées conjointement avec l’Union africaine. Une déclaration et un plan d’action ont été adoptés par les deux parties et qui touchent à l’agriculture, la culture, l’autonomisation des femmes, la sécurité, l’éducation. Mais, prenons un exemple concret : il y a de plus en plus de zones économiques spéciales en Afrique qui se consacrent à la transformation des ressources et où la Turquie a une expertise et des technologies à apporter à l’Afrique. Avec le plan d’action on va promouvoir ensemble ces zones spéciales au secteur prive turc. C’est un dialogue fondé sur les demandes et les besoins de l’Afrique.

Comme vous l’avez mentionné, l’Union africaine n’a pas encore la légitimité populaire qu’elle aspire à avoir. En attendant de pouvoir toucher les populations via l’Union africaine, dialoguez-vous aussi avec la société civile ?

Pendant le sommet, nous avons également approché la société civile, c’est une dimension très importante de notre travail ici. Nous ne sommes pas enfermés dans des tours d’ivoire. Il y a des liens très forts, nous-mêmes quand nous sommes en Afrique, on ne se sent pas dépaysés. De même, quand mes amis béninois se rendent en Turquie, ils sont surpris de l’accueil qu’ils reçoivent. La Turquie n’est pas encore bien connue en Afrique, c’est un aspect sur lequel nous travaillons. Nous sommes pleinement conscients de ce qui se passe. Le mouvement panafricain c’est quelque chose que nous apprécions en Turquie car nous sommes passés par les mêmes étapes, bien que n’ayant pas été colonisés. Vers la fin de l’empire Ottoman, le dépeçage de la Turquie était acté, nous avons dû avoir un sursaut. Donc, nous ne sommes pas indifférents à l’ensemble des luttes de souveraineté qui sont menées en Afrique.

Le 17 octobre dernier, le président turc Recep Tayyip Erdogan a entamé une nouvelle tournée africaine. Elle est intervenue dans un contexte concurrentiel accru par la perte de terrain de la France en Afrique sur fond d’accusations de prédation économique et la montée de nouveaux acteurs comme la Russie et la Chine. Ankara veut-elle aussi sa part du « gâteau africain » comme un tremplin pour accéder au statut de puissance mondiale ?

C’est normal qu’il y ait une méfiance vis-à-vis des nouveaux acteurs, parce que vous avez vécu certaines choses depuis votre indépendance. Vous avez le droit d’être méfiants mais nous, nous demandons à être jugés sur nos actes. De nouveau, l’approche que nous avons est une approche globale, qui prend en compte les injustices faites à l’Afrique. La Turquie est elle-même victime d’injustices sur la scène internationale. Le président Recep Tayyip Erdogan est le chef d’Etat qui a le plus visité l’Afrique et qui priorise une approche très humaine. La Turquie refuse des diktats, ce qui la rapproche de pays africains qui ont la même sensibilité. Nous ne sommes pas dans une logique de prédation de matières premières. Nous voulons travailler avec les entreprises, créer des emplois, la Turquie offre une fenêtre à l’Afrique, c’est au continent de comparer la Turquie aux offres X, Y ou Z.

En matière de culture, nous avons construit plusieurs centres culturels dont le dernier à Abuja, il y a beaucoup d’engouement pour la langue turque, les séries télévisées turques, tout cela ce n’est pas de la prédation. J’invite mes amis africains à découvrir l’histoire de la Turquie qui est peu connue et parfois maltraitée par les sources occidentales, à découvrir aussi les universités turques. À cet égard nous avons débloqué des bourses. L’année dernière nous avons eu 165 000 demandes de bourse émanant de 178 pays dans le monde. J’invite nos amis africains à profiter aussi de ces opportunités, à suivre les médias turcs directement à la source. Par exemple nous avons l’agence Anadolu qui a une page en français, la littérature, la mode, la cuisine. On s’intéresse aussi beaucoup à l’Afrique en Turquie. Nous avons une Maison africaine à Ankara où nous ne vendons que des produits africains. Nous voulons réellement établir une relation de confiance.

Cela dit, nous sommes conscients des besoins du continent. Deux exemples. À Istanbul, nous avons la Banque de technologies des Nations Unies pour les pays les moins avancés qui leur met à disposition des technologies. En matière de sécurité, nous sommes conscients des menaces que doivent affronter l’Afrique, nous avons nous-même eu à faire face au terrorisme. Nous avons des centres d’excellence en Turquie que nous ouvrons à nos partenaires africains. De nouveau, ce n’est pas une question de prédation, mais de mettre à disposition des technologies, doctrines que nous avons développées. Nous vous invitons à avoir une approche sans préjugés, comme celle qu’a la Turquie vis-à-vis de l’Afrique.

Mardi 19 octobre s’est tenu un mini-sommet plutôt discret, à l’agenda principalement sécuritaire, entre les présidents turc, togolais, burkinabè et libérien à Lomé. Quelle différence peut faire la Turquie dans la sécurisation de la sous-région, y compris du Sahel à partir duquel la menace terroriste pourrait se métastaser aux pays du Golfe de Guinée ?

La Turquie est un pays qui a une expérience très poussée en matière de terrorisme. Je ne connais pas les détails de ce qui a été discuté à Lomé, mais les pays africains ont le désir d’avoir d’autres interlocuteurs que ceux qui sont sur le terrain. Nous consacrons 2% de notre budget national à la défense, pendant plus de 45 ans durant « la Guerre froide », la Turquie a dû défendre le flanc Est de l’Europe et de l’OTAN, nous sommes donc devenus un acteur important en matière de défense.

La rencontre, n’a été annoncée que la veille par les présidences burkinabè et libériennes. Fallait-il éviter de froisser la France ?

Je ne suis plus ambassadeur à Lomé, je n’ai pas été impliqué dans les préparatifs de la visite du président Erdogan à Lomé. Ce n’est pas un jeu à somme nulle par rapport à d’autres puissances. Nous sommes ouverts au dialogue, tout sujet peut être abordé avec nous. Nous ne pensons pas qu’il y ait une exclusivité pour tel ou tel en Afrique, nous sommes dans un monde multipolaire.

Teria News

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