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L’épidémie de Covid-19 a entraîné un mouvement de frontiérisation, ébranlé l’économie mondiale menacée de récession, ainsi que les fondements du capitalisme. Dans l’incapacité de débloquer les milliards décaissés par les États développés, l’Afrique, particulièrement vulnérable, doit retrouver la maîtrise de ses ressources

Lundi 23 mars 2020, Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) a déclaré :  » La pandémie liée au coronavirus a déjà entraîné des coûts humains incalculables et tous les pays doivent collaborer pour protéger la population et limiter les dommages économiques. L’heure est à la solidarité, un des thèmes clés de la réunion des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 qui s’est tenue aujourd’hui « .

L’organisation, dont l’assistance financière a été sollicitée par près de 80 pays sur 189 pays membres, anticipe une récession aussi dure, voire pire que lors de la crise financière mondiale de 2008. Le FMI loue les mesures budgétaires prises par plusieurs Etats, et l’assouplissement des politiques monétaires de nombreuses banques centrales.  » Nous allons augmenter massivement le financement d’urgence, pour lequel près de 80 pays sollicitent notre aide, et nous coopérons étroitement avec les autres institutions financières internationales pour assurer une réponse forte et coordonnée. Nous nous tenons prêts à déployer l’intégralité de notre capacité de prêt, qui est de 1 000 milliards de dollars  » a-t-elle poursuivi, avant d’ajouter : « Mais nous nous attendons à une reprise en 2021 « . L’Organisation internationale du travail a également publié des prévisions alarmantes. Selon l’institution, la pandémie pourrait plonger 25 millions de personnes dans le monde en situation de chômage.

L’épidémie de coronavirus a enclenché un mouvement global de frontiérisation, et met peut-être un terme à la théorie de la fin des frontières, déjà dangereusement attaquée par le mouvement souverainiste qui a touché plusieurs pays développés, face notamment aux conséquences indéniables du dumping social, de la crise migratoire avec l’explosion de l’afflux de réfugiés depuis 2014-2015, et qui s’est récemment matérialisé par le Brexit. Des mesures d’exception telles que la fermeture de frontières, le confinement de populations, la déclaration d’état d’urgence, la suspension des liaisons aériennes et maritimes se généralisent sur tout le globe. Elles confirment et consolident un retour de l’État, en déclin face à l’intensification de la mondialisation et la concurrence d’une multiplicité d’acteurs sur la scène internationale comme les firmes multinationales, les organisations internationales, ou encore la société civile internationale. La crise sanitaire et économique déclenchée par la pandémie de Covid-19, a replacé les États au centre du jeu, la puissance étatique, se nourrissant aussi de la relative faiblesse des réponses communautaires, en particulier sur le continent africain. Leur marginalisation, sans inversion, pourrait à terme marquer l’échec de l’intégration régionale.

Par ailleurs, face à cette frontiérisation, le 19 mars, le Haut commissariat aux réfugiés a appelé les Etats à ne pas oublier leurs responsabilités vis à vis des réfugiés, la fermeture des frontières s’accompagnant d’un énième durcissement de l’octroi du statut de réfugié.

Le FMI rappelle que les économies avancées sont  » généralement mieux placées pour répondre à la crise « , quand de nombreux marchés émergents et pays à faible revenu sont  » confrontés à des défis importants « . En effet, les investisseurs ont déjà retiré 83 milliards de dollars des marchés émergents depuis le début de la crise, soit  » la plus importante sortie de capitaux jamais enregistrée « . Dans ce contexte, l’Afrique est particulièrement vulnérable. Les paradoxes propres au continent semblent de moins en moins tolérables face à l’urgence sanitaire, et l’obligation de moyens qu’elle impose vis à vis des vies humaines. Le continent « le plus pauvre au monde », ne peut plus le rester en ayant dans son sous-sol les plus grandes richesses de la planète.

Alors que le paradigme néo libéral est ébranlé, que les autorités américaines, françaises, ou italiennes évoquent des nationalisations pour protéger leurs fleurons industriels en chute libre sur les marchés, l’Afrique est appelée à réagir avec une violence supérieure et nationaliser ses ressources. Les mines d’uranium du Niger exploitées par l’entreprise française Areva ne peuvent plus éclairer l’Hexagone tandis que les nigériens continuent de vivre dans le noir, le produit des ressources en or, diamant, coltan de la République démocratique du Congo doivent bénéficier aux seuls congolais et non plus être spoliées par d’avides sociétés d’exploitation étrangères. De plus, alors que les États développés suspendent des loyers, allègent les charges fiscales des entreprises, octroient des allocations d’urgence à leur population (1000 dollars par adulte et 500 par enfant aux États-Unis), les Etats faillis, une majorité en Afrique, construisent des routes, et continuent de négliger leurs systèmes de santé, ce malgré la récente épidémie d’Ebola. Enfin, la lutte pour la souveraineté économique et monétaire des pays utilisant le franc CFA doit aboutir à une réelle émancipation, et au contrôle de leurs richesses nationales.

En outre, au-delà du continent, la présente pandémie mondiale vient confirmer l’invalidité de la thèse de la fin de l’Histoire, défendue par Francis Fukuyama.

D’une part, le capitalisme plus qu’en 2008 est secoué dans ses fondations, les politiques publiques sociales, la présence de biens communs comme les systèmes de santé financés par l’impôt, révélant leur importance stratégique.

D’autre part, l’État libéral et la démocratie libérale n’ont pas vaincu toute autre forme de régime. La démocratie libérale est en déclin avec le phénomène de la dépression démocratique. On assiste à une soif de force, et de nombreuses voix s’élèvent pour glorifier l’autoritarisme chinois, qui aurait produit, façonné une population disciplinée, seule capable d’obéir sans résistance ou presque aux règles contraignantes de confinement imposées pour limiter la propagation du Covid-19. La Chine serait d’autant plus confortée dans son orientation politique, que ses autorités affirment que la crise sanitaire nationale est aujourd’hui maîtrisée. Le président Xi Jinping a donné la priorité à la reprise économique la semaine dernière, et le pays ne déclare plus aucun cas de contamination interne. Comparés aux démocraties, les régimes forts offriraient la meilleure réponse aux secousses. Toutefois, au début de la crise du Covid-19, la Chine a avoué avoir retenu des informations comme lors de l’épidémie de Sras en 2003, et devant la tragédie italienne, des doutes pèsent sur le bilan de 3 000 morts déclaré. Pékin a également engagé une puissante campagne de lobbying au sein des organisations internationales, en premier lieu l’Organisation mondiale de la santé, laquelle n’a eu cesse de louer sa gestion de la crise, et a retardé jusqu’au 30 janvier le déclenchement de « l’urgence de santé publique de portée internationale ». Ajoutons que la Corée du Sud et Taïwan, deux démocraties, sont en passe d’endiguer la propagation du virus.

Dans quelle mesure le monde va-t-il changer suite à cette crise sanitaire? Il est vrai qu’après 2008, malgré les promesses de réforme du système financier mondial, les vieilles habitudes ont repris avec la même fièvre. Cependant, le caractère inédit de cette période d’incertitudes pourrait en faire une réelle transition vers un équilibre mondial alternatif.

Teria News

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