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Un non-évènement selon ses opposants. L’annonce contrainte du président ivoirien Alassane Ouattara de ne pas briguer un 3e mandat, est un signal envoyé sur le continent, qui pourrait étancher les velléités de son homologue d’Alpha Condé

Une délégation de la CEDEAO a été reçue lundi par le ministre des affaires étrangères ivoirien Marcel Amon Tanoh, dans le cadre d’une mission d’information pré-électorale en Côte d’Ivoire, avant la tenue d’élections paisibles en octobre 2020.

Jeudi, devant le Parlement réuni en Congrès dans l’amphithéâtre de la Fondation Félix Houphouët-Boigny à Yamoussoukro, Alassane Ouattara a annoncé qu’il ne sera pas candidat à un 3e mandat. « Tout au long de ma carrière, j’ai toujours accordé une importance particulière au respect de mes engagements. En conséquence, j’ai décidé de ne pas être candidat en 2020 », a déclaré le président ivoirien.

Si l’acte a fait couler beaucoup d’encre, les détracteurs d’Alassane Ouattara parlent de non-évènement, et considèrent que la Constitution de 2016, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels, l’empêchait de se représenter à un 3e mandat. Cependant, l’interprétation par le président ivoirien de la loi fondamentale était différente. Lui en effet, considérait que cette nouvelle Constitution « remettait les compteurs à zéro ».

Alassane Ouattara a longtemps soufflé le chaud et le froid. Sa déclaration devant un Parlement amorphe a été contrainte. Sous la pressions cumulée de Paris et Bruxelles, Alassane Ouattara a été forcé d’abandonner le projet de 3e mandat. La France et l’Union européenne ne se placent ni sur le terrain de la vertu, ni de la morale, mais veillent sur leurs intérêts économiques, en danger en cas de crise post-électorale en Côte d’Ivoire. Risque qui s’est accru ces derniers mois, avec le climat pré-électoral alimenté par Alassane Ouattara, et qui se serait décuplé s’il s’était représenté.

« Je voudrais annoncer solennellement, que j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 et de transférer le pouvoir à une jeune génération », a écrit le président ivoirien, 78 ans, sur son compte Twitter. La formule a dérangé. En principe dans une démocratie, seul le peuple transfère le pouvoir, et non le président de la République. Alors qu’est mise en avant une volonté de propulser une nouvelle génération, cette catégorie s’entend dans un sens restreint. Compte tenu des évènements de la dernière quinzaine de décembre 2019, elle se limite au dauphin d’Alassane Ouattara.

Depuis quelques mois a été lancée une guerre ouverte contre une certaine jeunesse, représentée par Guillaume Soro et Charles Blé Goudé, hostile au président ivoirien et qui fait peser un péril sur ses intérêts. Le 30 décembre 2019, le dernier a été condamné par contumace à « vingt ans de prison, dix ans de privation de ses droits civiques et 200 millions de francs CFA d’amende ». L’ex-chef des Jeunes patriotes, en liberté conditionnelle à La Haye après son acquittement par la CPI, est accusé par la justice ivoirienne d’ »actes de torture, homicides volontaires et viol ». Quelques mois avant, en juin 2019, Charles Blé Goudé avait annoncé avoir des ambitions présidentielles à long terme. Réagissant à sa condamnation, il a dénoncé « une décision politique qui revêt un vernis judiciaire », et a supplié le président Ouattara de réunir les ivoiriens. Une supplication « miséricordieuse », tant le « général de la rue », tel que surnommé à cause de sa capacité de mobilisation de la jeunesse, représente un danger pour Alassane Ouattara ou son dauphin.

Cette condamnation est survenue huit jours après le début des déboires judiciaires de Guillaume Soro avec la justice de son pays. L’ex-chef de la rébellion ivoirienne des années 2000, et ancien président de l’Assemblée nationale, actuellement en France, est visé par un mandat d’arrêt international de la justice ivoirienne, qui l’accuse de « complot » et d’avoir préparé « une insurrection civile et militaire » pour s’emparer du pouvoir. De quoi, sans compter l’interpellation et la mise sous mandat de dépôt du frère de Guillaume Soro début janvier 2020, nourrir les soupçons d’agenda politique du pouvoir pour écarter deux prétendants à la magistrature suprême. En effet, Charles Blé Goudé et Guillaume Soro sont bien plus populaires que tout potentiel successeur du président Ouattara, qu’il s’agisse du premier ministre Amadou Gon Coulibaly, perçu comme l’homme des coups bas et des affaires, ou du ministre de la défense Hamed Bakayoko.

Le malheur aura eu le mérite de rassembler deux frères ennemis. Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, qui ne s’étaient pas revus depuis 10 ans, se sont rencontrés le 24 novembre 2019 à La Haye. Une opération de communication savamment orchestrée, au vue du nombre de médias invités, et de l’absence de réelle déclaration commune. Il s’agissait aussi d’un message destiné à Alassane Ouattara: la résistance à son pouvoir est en construction et tente contre vents et marées, en l’espèce même contre la justice ivoirienne, de présenter un front uni contre lui, selon la logique « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ».

L’annonce d’Alassane Ouattara ne met pas fin à tout risque d’embrasement en Côte d’Ivoire. L’enjeu repose sur la façon dont le président ivoirien quittera le pouvoir, et plusieurs signes poussent déjà à la prudence. Ainsi, aux affaires Soro et Blé Goudé, s’ajoute cette pique: « Je veux aussi assurer les conditions d’une passation de pouvoir d’un président démocratiquement élu à un autre président démocratiquement élu pour la première fois dans l’histoire de notre pays « .

L’acte d’Alassane Ouattara envoie un signal dans la sous-région ouest-africaine et dans toute l’Afrique. Ce, en particulier en Guinée, où Alpha Condé est dans l’incapacité de tenir son délai de 2 semaines pour réorganiser un scrutin législatif et le référendum constitutionnel, étant donné la lourde tache d’amender la liste de 2.5 millions d’électeurs, soit 30% du fichier électoral jugé « problématique » par l’OIF, sans recensement. L’opération de grande échelle prendrait plusieurs mois. Au pays de Sékou Touré, les législatives accusant déjà plus d’un an de retard et l’approche des présidentielles, forment un cumul et un embourbement du pouvoir guinéen. Sous la pression internationale, et devant le risque de dégradation du climat des affaires, est à envisager qu’Alpha Condé, comme Alassane Ouattara, soit contraint de se résoudre à abandonner son projet de 3e mandat.

Teria News

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