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« Un timbre, une histoire » : les adieux du Roi Béhanzin place Goho

« À mon destin je ne tournerai plus le dos. Je ferai face et je marcherai. Car la plus belle victoire ne se remporte pas sur une armée ennemie ou des adversaires condamnés au silence du cachot. Est vraiment victorieux, l’homme resté seul et qui continue de lutter dans son cœur. » Redécouvrez le vibrant discours d’adieu du Roi Béhanzin donné place Goho en 1894.

« Goho » signifiant « lieu de rencontre » en langue locale fon parlée au Danxomè, la place Goho fut le théâtre de la solennelle allocution de la reddition du Roi Béhanzin avant sa déportation vers la Martinique. Cette place majestueuse, qui trône aujourd’hui à l’entrée de la ville d’Abomey (autrefois centre du pouvoir du Danxomè), est le symbole par excellence de la Résistance face à la colonisation à travers l’imposante statue du Roi Béhanzin faisant halte de son bras à l’envahisseur. 

Ayant changé de stratégie et renforcé leurs troupes, les envahisseurs reviennent à la charge, mieux organisés et armés. À partir de renseignements de traîtres, la nouvelle cible fut cette fois le cœur de l’exécutif (Abomey). Le Roi Béhanzin ne se sentant plus en sécurité au sein du palais prit le maquis pendant plusieurs mois avant de décider, sensible aux atrocités que l’ennemi faisait subir à son peuple, de négocier avec son homologue français, d’où le consentement à rencontrer le général Dodds et quitter le Danxomè. Le souverain rassembla avant ses derniers compagnons et s’exprima en ces termes :

« Compagnons d’infortune, derniers amis fidèles, vous savez dans quelles circonstances, lorsque les Français voulurent accaparer la terre de nos aïeux, nous avons décidé de lutter.

Nous avions alors la certitude de conduire notre armée à la victoire. Quand mes guerriers se levèrent par milliers pour défendre le Danxomè et son roi, j’ai reconnu avec fierté la même bravoure que manifestaient ceux d’Agadja, de Tégbessou, de Ghézo et de Glèlè. Dans toutes les batailles j’étais à leurs côtés.

Malgré la justesse de notre cause, et notre vaillance, nos troupes compactes furent décimées. Elles n’ont pu défaire les ennemis blancs dont nous louons aussi le courage et la discipline. Et déjà ma voix éplorée n’éveille plus d’écho.

Où sont maintenant les ardentes amazones qu’enflammait une sainte colère ?

Où, leurs chefs indomptables : Goudémè, Yéwê, Kétungan ?

Où, leurs robustes capitaines : Godogbé, Chachabloukou, Godjila ?

Qui chantera leurs splendides sacrifices ? Qui dira leur générosité ?

Puisqu’ils ont scellé de leur sang le pacte de la suprême fidélité, comment accepterais-je sans eux une quelconque abdication ?

Comment oserais-je me présenter devant vous, braves guerriers, si je signais le papier du Général ?

Non ! A mon destin je ne tournerai plus le dos. Je ferai face et je marcherai. Car la plus belle victoire ne se remporte pas sur une armée ennemie ou des adversaires condamnés au silence du cachot. Est vraiment victorieux, l’homme resté seul et qui continue de lutter dans son cœur. Je ne veux pas qu’aux portes du pays des morts le douanier trouve des souillures à mes pieds. Quand je vous reverrai, je veux que mon ventre s’ouvre à la joie. Maintenant advienne de moi ce qui plaira à Dieu ! Qui suis-je pour que ma disparition soit une lacune sur la terre ?

Partez vous aussi, derniers compagnons vivants. Rejoignez Abomey où les nouveaux maîtres promettent une douce alliance, la vie sauve et, paraît-il, la liberté. Là-bas, on dit que déjà renaît la joie. Là-bas, il paraît que les Blancs vous seront aussi favorables que la pluie qui drape les flamboyants de velours rouge ou le soleil qui dore la barbe soyeuse des épis.

Compagnons disparus, héros inconnus d’une tragique épopée, voici l’offrande du souvenir : un peu d’huile, un peu de farine et du sang de taureau. Voici le pacte renouvelé avant le grand départ.

Adieu, soldats, adieu !

Guédébé, reste debout, comme moi, comme un homme libre. Puisque le sang des soldats tués garantit la résurrection du Danxomè, il ne faut plus que coule le sang. Les ancêtres n’ont plus que faire de nos sacrifices. Ils goûteront mieux le pur hommage de ces cœurs fidèles unis pour la grandeur de la patrie.C’est pour quoi j’accepte de m’engager dans la longue nuit de la patience où germent des clartés d’aurore.

Guédébé, comme le messager de la paix, va où campe le général Dodds.

Va dire au conquérant qu’il n’a pas harponné le requin.

Va lui dire que demain, dès la venue du jour, de mon plein gré je me rends au village de Yégo.

Va lui dire que j’accepte, pour la survie de mon peuple, de rencontrer dans son pays, selon sa promesse, le président des Français. »

Le 26 janvier 1894, Dada Béhanzin se livra au général français Dodds et la guerre connut son épilogue. « Le monde tient l’oeuf que la terre désire », signification du nom fort choisi à son accession au trône, le règne du roi Béhanzin fut le reflet de cette attraction entre le sol et la position de l’oeuf, une histoire de pesanteur. En somme, une rivalité perpétuelle qui marqua son règne.

L’Eveilleur de Conscience Panafricaine

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