Des députés français ont réclamé, ce mardi 26 novembre, la création une commission d’enquête sur le massacre de Thiaroye. L’initiative intervient quelques jours avant la commémoration par Dakar des 80 ans de cet épisode sanglant de l’histoire coloniale française. Il est l’objet d’un conflit mémoriel majeur entre la France et le Sénégal.
C’est peut-être le début d’un apaisement mémoriel entre les deux pays. Mais surtout, l’amorce d’un consensus sur les évènements du 1er Décembre 1944. La création d’une commission d’enquête parlementaire, telle que réclamée mardi 26 novembre par des députés français, pourrait ouvrir la voie vers une reconnaissance par la France de sa responsabilité dans la mort de plusieurs dizaines de tirailleurs Sénégalais, il y a 80 ans. Jusqu’à présent, Paris s’est réfugié derrière des tergiversations et le déni. Ce, autant à l’égard du bilan du massacre, 35 morts selon Paris, jusqu’à 191, voire plusieurs centaines selon certains historiens, que concernant le déroulé des évènements.
Faire la lumière sur le « massacre de Thiaroye »
« Nous avons présenté ce matin à la presse la proposition de résolution transpartisane que nous déposerons à l’Assemblée nationale afin de demander la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le massacre de Thiaroye au Sénégal du 1er décembre 1944 »
Dieynaba Diop, élue du Parti socialiste
Le 1er Décembre 1944, pour avoir réclamé leurs arriérés de solde après avoir combattu pour le drapeau français au cours de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs dizaines de tirailleurs sénégalais, terme générique désignant les soldats de la sous-région Ouest-africaine enrôlés dans l’armée Tricolore au sein d’un corps créé sous le Second Empire et dissous dans les années 1960, sont exécutés sur le camp de Thiaroye.
La création d’une commission d’enquête parlementaire est une « initiative indispensable pour rétablir l’honneur et la dignité des tirailleurs sénégalais assassinés par l’armée française », estime Dieynaba Diop « face à l’histoire coloniale de notre pays, nous devons cette vérité afin de permettre une mémoire apaisée entre la France et le Sénégal, pour les générations futures », ajoute-t-elle.
En enjeu de soft-power pour la France
« C’est un massacre puisque ce n’est pas simplement une répression comme on en connaît dans des manifestations qui débordent. Là, il s’agit d’un massacre à la mitrailleuse », a affirmé François Hollande. Une déclaration qui tranche avec les termes de « répression sanglante » choisis pour qualifier les évènements de Thiaroye en 2014, lors de son mandat présidentiel et considérés euphémisants par les opinions publiques Ouest-africaines.
Les 1.300 tirailleurs rassemblés au camp de Thiaroye étaient d’ex-prisonniers de guerre des Allemands qui avaient participé aux combats de 1940. Ils avaient embarqué en France début novembre 1944 pour être renvoyés en bateau à Dakar. Après leur arrivée au camp plus de deux semaines plus tard, les soldats se révoltent contre le retard du paiement de leurs arriérés de solde. Nombre d’entre eux refusent même de rentrer dans leurs pays et familles sans être payés.
Pour la France, apaiser le contentieux mémoriel avec le Sénégal entre dans le cadre d’une politique visant à freiner sa perte d’influence en Afrique. Ainsi, le 18 juin dernier, Paris accorde à six tirailleurs Sénégalais massacrés en 1944 le titre posthume de « morts pour la France ». Jugé maladroit, voire insultant, l’acte a été accueilli avec colère par les nouvelles autorités sénégalaises. « Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. », avait réagi le Premier ministre Ousmane Sonko.
Dakar signifie ainsi à Paris ne plus attendre de l’ancienne métropole qu’elle dise la vérité sur Thiaroye, mais entend l’établir de façon officielle de sa propre initiative. À la lumière de cette posture, le Sénégal pourrait voir en cette enquête parlementaire française une nouvelle tentative de préemption de son histoire.
Teria News