Et si la vraie question n’était pas la mort présumée du président camerounais mais la question de sa succession ? Mais le tabou qui l’entoure révèle le poids des enjeux pour son entourage. Admettre le décès du prince, c’est ouvrir une boite de pandore que tous redoutent : la guerre ouverte après celle larvée, voire l’intervention de l’armée.
On le dit décédé dans une cossue clinique suisse où le dirigeant de 91 ans, doyen de ses homologues à travers le globe, a ses habitudes. Les absences répétées et élonguées de Paul Biya, les Camerounais en ont l’habitude. Le dirigeant préfère de loin passer son temps dans les luxueux palaces européens ou dans son village natal de Mvomeka’a. Gouverner ? Il en laisse la charge à sa lourde administration, elle-même chapeautée par un gouvernement de fidèles, installés pour verrouiller le système qu’il a bâti depuis 42 ans.
Paul Biya n’est pas éternel, cela va de soi. Dès lors, son grand âge invite naturellement à évoquer sa succession à la tête du Cameroun. Une question cruciale de gouvernance publique dans n’importe quel pays. Or, le gouvernement camerounais a frappé ce débat légitime du sceau de l’interdit.
Un démenti en signe de fébrilité
Dans un communiqué, la présidence a rassuré sur « l’excellent état de santé du chef de l’État qui travaille et vaque à ses occupations à Genève d’où il n’est jamais parti depuis son arrivée en provenance de Pékin. »
Devant les rumeurs qui enflaient, en particulier suite aux affirmations d’un leader séparatiste anglophone en exil sur une chaîne de la diaspora basée aux États-Unis, mardi 8 octobre, René Sadi, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement a dénoncé des rumeurs qui « relèvent du fantasme et de la pure imagination ». Il évoque de plus des « commentaires tendancieux » et assure dans un communiqué que le chef de l’État qui « se porte bien rejoindra le Cameroun dans les prochains jours ».
Récurrentes dans la vie politique camerounaise, les questions autour de l’état de santé de Paul Biya avaient pris de l’ampleur à cause d’une énième absence prolongée. Le président camerounais n’avait en effet pas été vu en public depuis son départ de Pékin début septembre après le sommet du forum de la coopération Chine-Afrique (FOCAC). Paul Biya n’était pas présent à la dernière Assemblée générale de l’ONU de New York, ni au dernier sommet de la Francophonie, à Paris, non plus.
Éviter une guerre ouverte des clans
Etouffer de cette façon les rumeurs sur la mort de Paul Biya vise en réalité à museler le débat sur sa succession. La raideur de l’entourage du chef d’État camerounais révèle une frilosité devant les conséquences d’un tel évènement politique. Impréparation ? Pas vraiment, deux clans fourbissent leurs armes dans une ombre, transformée en clair-obscur ces dernières années. Le premier est dirigé par le secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh, proche de Chantal Biya, épouse du président. Le second par Samuel Mvondo Ayolo, ministre directeur de cabinet civil.
Sans dauphin officiel, la mort de Paul Biya ferait sauter un statut quo au sein de son premier cercle, d’une part. D’autre part, elle ferait basculer les antagonismes d’une guerre larvée à une guerre ouverte aux conséquences potentiellement dévastatrices pour la stabilité du Cameroun. Mais surtout, dans un contexte de recrudescence des coups d’État sur le continent, de plus avalisés par des populations qui y voient l’ultime catalyseur de changement face à des classes politiques enkystées dans des logiques de capture du pouvoir, le vide laissé par une vacance à la tête de l’État pourrait faire germer des idées dans les esprits des officiers supérieurs. Si les deux clans disposent de relais respectifs au sein de l’armée, cette dernière pourraient s’émanciper de ses tuteurs civils.
Rappelons que le Cameroun est confronté à des défis sécuritaires sur plusieurs fronts. La guerre contre Boko Haram autour du lac Tchad et le sanglant conflit dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays. Ouvert en 2016, il a déjà fait 6.000 morts et au moins 638 421 déplacés internes selon Human Rights Watch.
Teria News