Réduction drastique de la présence militaire française en Afrique. Tchad, Sénégal, Côte d’ivoire : Paris diminue ses effectifs et amorce un virage stratégique de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel, vers la mer Rouge.
Le président Emmanuel Macron prend acte de l’époque. Elle est résolument au malaise, au sentiment d’invasion et de néo-colonisation qu’inspire la politique française en Afrique, dont l’un des piliers, outre le franc CFA, est la présence de bases militaires dans les anciennes colonies de Paris, 60 ans après les indépendances. Incompréhensible pour une jeunesse dont la force démographique s’exprime dans une grogne inédite sur les réseaux sociaux et les rues des capitales d’Afrique de l’Ouest. Elle fait le constat factuel que la France est la seule ancienne puissance coloniale sur le continent à avoir entretenu une telle présence militaire. Une façon de dire « au revoir », sans réellement partir.
Le président français admet ainsi également les limites de l’usage du « sentiment anti-français » en tant que construction communicationnelle visant à discréditer sur le terrain de l’émotion, dite manipulée par des puissances rivales, une contestation pourtant rationnelle des relents néocoloniaux la politique française en Afrique. Ce virage stratégique acte par ailleurs, du côté de Paris, l’échec de la stratégie militaire hexagonale au Sahel dont l’armée a été chassée du Mali, du Burkina Faso et du Niger dans l’espace d’une séquence politique de trois ans (2020-2023), à la faveur des changements de régime et d’agenda, à l’échelle nationale comme géostratégique, consécutifs à la prise de pouvoir de militaires dans ces trois pays, aujourd’hui membres de l’Alliance des États du Sahel.
Une présence militaire réduite à peau de chagrin
La France souhaite aujourd’hui « une présence visible moindre, mais maintenir un accès logistique, humain, matériel à ces pays, tout en renforçant notre action qui réponde aux aspirations de ces pays ».
Jean-Marie Bockel, chargé de mission du président Emmanuel Macron pour l’Afrique
De plus de mille, Paris prévoit de limiter ses soldats sur le continent à quelques centaines afin d’impulser une dynamique de partenariats « rénovés » et plus discrets. Concrètement, la France conservera une centaine d’hommes au Gabon (contre 350 aujourd’hui), idem au Sénégal, une centaine également en Côte d’Ivoire (contre 600 actuellement). Emprise militaire historique au Sahel, le Tchad verra également les effectifs français diminuer d’un millier (principalement le résidu de l’opération Barkhane) à 300. L’armée prévoit aussi de créer cet été à Paris, un commandement dédié à l’Afrique.
Une présence réduite, mais maintenue
Drastiques en apparence, ces changements ne sont que l’accélération d’une dynamique amorcée depuis plusieurs mois. En Côte d’Ivoire en effet, les effectifs français sont déjà passés de 900 à 600 soldats, parallèlement au Sénégal où l’élection du candidat du Pastef Bassirou Diomaye Faye oblige Paris à changer de braquet. Si Dakar n’a pas encore expressément demandé le départ des troupes de son partenaire français, la plateforme souverainiste du Pastef et les déclarations du Premier ministre Ousmane Sonko qui a réaffirmé mi-mai « la volonté du Sénégal de disposer de lui-même, laquelle volonté est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal », ont été entendus par Paris.
Exception notable à cette politique, la base française de Djibouti, qui accueille 1 500 soldats français. La France veut conserver un ancrage stratégique, dans le détroit de Bab-el-Mandeb (mer Rouge) où transite une grande part du commerce mondial entre Asie et Occident.
Toutefois, les opinions publiques continentales demeurent vigilantes et gardent à l’esprit les paroles de l’ancien chef d’état-major français François Lecointre qui, en avril dernier, regrettait le désengagement contraint des forces françaises du Sahel et exprimait le souhait d’un retour prochain de l’armée française dans cet espace. « Je suis absolument désolé de voir l’échec de nos engagements au Sahel (…) Je suis le premier à avoir beaucoup de mal à avaler ça (…) Je suis persuadé que dans quelques années, je ne sais pas si c’est 10 ans, ou moins, ou plus, nous aurons l’obligation de retourner aider ces pays africains », avait-il déclaré. En Afrique de l’Ouest, cette prise de parole a largement été commentée comme la trahison d’un esprit vindicatif, d’un logiciel colonial, voire l’expression d’un danger pour la souveraineté des États du Sahel.
Les échos de la nouvelle architecture militaire française en Afrique, encore non-officielle, sont à relativiser par les prochaines échéances électorales. Les résultats de législatives anticipées et la possibilité d’une cohabitation avec le Rassemblement national pourrait peser sur ce projet, tel que présenté.
Teria News