« Cette Cour a été créée pour l’Afrique et pour les voyous comme Poutine », dixit un dirigeant américain au procureur de la CPI, Karim Khan. Une énième tentative d’intimidation alors que la Cour a demandé des mandats d’arrêt contre Benyamin Netanyahou et des dirigeants du Hamas. Quand l’Américain dit tout haut ce que l’Africain pense tout bas.
L’impopularité de la Cour pénale internationale n’est plus à démontrer sur le continent. Si les États africains sont les plus nombreux à avoir ratifié le Statut de Rome, leurs opinions publiques elles, y voient un instrument de terreur et de règlement de comptes géopolitiques conçu pour discipliner et punir les dirigeants qui s’opposent à l’impérialisme et au néo-colonialisme. Sur le plan judiciaire, la CPI cristallise les accusations de « deux poids, deux mesures », portées par les Africains, et par extension le Sud global, contre l’Occident dans la promotion de normes pourtant universelles. Outil d’une indignation à géométrie variable et surtout orienté à dessein, la juridiction s’est discréditée en Afrique par la partialité de ses choix d’instruction comme l’arme fatale, le bazooka destiné à abattre les rebelles d’un système international à bout de souffle.
Quand l’Américain dit tout haut ce que l’Africain pense tout bas
Quelle rationalité en effet dans celui de monter un dossier d’accusation contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé pour certains faits dans le cadre de la crise post-électorale de 2010-2011, tout en dédouanant de toute reddition de compte le camp opposé représenté par Alassane Ouattara et Guillaume Soro ? Les liens d’affaire entre l’époux de l’ancienne procureure de la CPI Fatou Bensouda et le président ivoirien, ajouté au soutien appuyé de la France de Nicolas Sarkozy à son régime apportent des éléments réponse à une séquence politico-judiciaire qui, bien que conclue par l’acquittement du couple formé par l’ancien président ivoirien et son ministre de la Jeunesse d’alors, a marqué la mémoire de beaucoup comme la preuve que tous ne sont pas égaux devant la justice pénale internationale.
« Cette Cour a été créée pour l’Afrique et pour les voyous comme Poutine ». Lâchés lors d’une interview accordée à CNN, les mots prêtés à un « dirigeant américain élu », avalisent ce que d’aucuns qualifiaient jusqu’ici de théorie du complot.
De Poutine à Netanyahu, Karim Khan, à équidistance du Nord et du Sud?
« Nous affirmons que les crimes contre l’humanité visés dans les requêtes s’inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile palestinienne dans la poursuite de la politique d’une organisation. D’après nos constatations, certains de ces crimes continuent d’être commis. »
Karim Khan, procureur général de la CPI
Pour avoir défendu Saïf al-Islam Kadhafi et Jean-Pierre Bemba devant la CPI en tant qu’avocat, Karim Khan, passé procureur en 2021 ne peut ignorer la perception de la Cour en Afrique. D’autant, que le successeur de Fatou Bensouda, loin d’être le favori lors de l’élection, doit son poste à ses soutiens sur le continent africain. Ce, sur la promesse de faire évoluer l’institution au-delà de son image de « machin » à broyer la dissidence sur la scène globale et des scandales de corruption.
Malgré les pressions exercées sur l’institution, principalement par les États-Unis dont un groupe de sénateurs l’avait, sur un ton particulièrement belliciste, menacé de représailles face à sa volonté de poursuivre les dirigeants israéliens pour leurs actes commis dans la bande de Gaza dans le cadre de la riposte militaire à l’attaque du 7 octobre dernier perpétrée par le Hamas, le nouveau procureur général de la CPI a répondu à de nombreuses attentes lundi 20 mai. Karim Khan a demandé l’émission de mandats d’arrêt contre Benyamin Netanyahu, son ministre de la Défense Yoav Gallant, et trois responsables du Hamas parmi lesquels Ismaïl Haniyeh (chef politique de l’organisation islamiste) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le Premier ministre israélien et Yoav Gallant sont visés par la CPI pour « le fait d’affamer délibérément des civils », « homicide intentionnel » et « extermination et/ou meurtre ». Les accusations portées contre les dirigeants du Hamas incluent elles, « l’extermination », « le viol et d’autres formes de violence sexuelle » et « la prise d’otages en tant que crime de guerre ».
Si les trois juges de la chambre préliminaire de la CPI décident de suivre le procureur général en émettant un mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahu, n’importe lequel des 124 États membres de ce tribunal est, en théorie, tenu de l’arrêter s’il se rend sur son territoire. En pratique, la CPI dépend de la coopération des États partie pour exécuter ses décisions. Ainsi, au regard du poids des soutiens de Tel Aviv, la démarche de Karim Khan revêt davantage une portée symbolique. Elle demeure néanmoins un camouflet diplomatique.
Teria News