Alors que les pays riches bénéficient du luxe de cadres réglementaires laxistes, les pays africains eux, sont livrés à eux-mêmes dans un environnement marqué par des pratiques de prêt prédatrices et des politiques économiques d’exploitation. Pratiques illicites des multinationales, biais subjectif des agences de notation qui gonfle la perception du risque d’investissement en Afrique au-delà du risque réel de défaut. Analyse d’un système inéquitable.
La situation de la dette dans de nombreux pays africains s’est à nouveau aggravée jusqu’à atteindre un point critique. Vingt d’entre eux sont en surendettement ou risquent de l’être. Trois éléments essentiels y contribuent de manière significative.
Premièrement, les règles qui régissent le système bancaire international favorisent les pays développés et vont à l’encontre des intérêts des pays africains.
Deuxièmement, les institutions financières multilatérales telles que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale se concentrent sur la réduction de la pauvreté. C’est louable. Mais cela ne résout pas la crise de liquidité à laquelle les pays sont confrontés. Beaucoup ne disposent pas des fonds nécessaires dans leurs coffres pour couvrir les priorités de développement urgentes en raison de leur dépendance à l’égard des exportations volatiles de matières premières. En conséquence, les gouvernements se tournent vers l’augmentation de la dette souveraine dans des conditions parmi les plus défavorables de la planète. Cela perpétue un cycle de dépendance à l’endettement plutôt que de favoriser une croissance économique durable.
Troisièmement, il y a l’influence significative des agences de notation de crédit biaisées. Celles-ci pénalisent injustement les pays africains. En retour, cela entrave les capacités de ces derniers à attirer des investissements à des conditions favorables.
La convergence de ces trois facteurs souligne l’impératif de mettre en œuvre des stratégies efficaces visant à atténuer le fardeau écrasant de la dette qui frappe les pays africains. Ces stratégies doivent répondre aux défis financiers immédiats auxquels sont confrontés les pays. Ils doivent également jeter les bases d’une durabilité économique à long terme et d’un développement équitable sur l’ensemble du continent.
En s’attaquant de front à ces problèmes, il est possible de créer un environnement financier qui favorise la croissance, responsabilise les économies locales et garantit que les pays africains ont accès aux ressources dont ils ont besoin pour prospérer.
Les règles du jeu bancaire
La Banque des règlements internationaux est souvent appelée la « banque centrale des banques centrales ». Elle fixe les réglementations et les normes du système bancaire mondial. Mais ses règles favorisent de manière disproportionnée les économies développées, ce qui entraîne des conditions défavorables pour les pays africains. Par exemple, les exigences en matière de fonds propres, le montant que les banques doivent détenir par rapport à leurs actifs et d’autres règles prudentielles peuvent être disproportionnellement strictes pour les marchés africains. Cela limite les prêts destinés à stimuler la croissance économique dans les économies moins attractives. Les politiques de la banque négligent également souvent les défis uniques des pays en développement.
À la suite de la crise financière de 2008/2009, la banque a introduit un nouvel ensemble de réglementations plus strictes. Leur complexité et leurs exigences strictes ont involontairement accéléré le retrait des banques internationales d’Afrique.
Ils ont également rendu de plus en plus difficile pour les banques mondiales d’opérer de manière rentable sur les marchés africains. En conséquence, beaucoup ont choisi de réduire leurs activités ou de se retirer. Les retraits ont réduit la concurrence au sein du secteur bancaire, limité l’accès au crédit pour les entreprises et les particuliers et entravé les efforts visant à promouvoir la croissance économique et le développement.
Les limites des nouvelles réglementations soulignent la nécessité d’une approche plus nuancée de la réglementation bancaire. Les effets négatifs pourraient être atténués en simplifiant la réglementation. Par exemple, les exigences pourraient être adaptées aux besoins spécifiques des économies africaines et soutenir les banques locales.
Focus sur la réduction de la pauvreté
Les institutions financières multilatérales comme le FMI et la Banque mondiale jouent un rôle crucial en fournissant une aide financière à de nombreux pays du continent. Mais l’accent mis sur la réduction de la pauvreté et, plus récemment, sur le financement climatique néglige souvent les besoins urgents en matière de dépenses. En outre, la pénurie de liquidités à laquelle sont confrontés les pays limite encore davantage leur capacité à prioriser les dépenses essentielles.
Les pays riches bénéficient du luxe de cadres réglementaires laxistes et d’un vaste espace budgétaire. Pour leur part, les pays africains sont livrés à eux-mêmes dans un environnement marqué par des pratiques de prêt prédatrices et des politiques économiques d’exploitation. Parmi celles-ci figurent des accords fiscaux privilégiés qui impliquent souvent des exonérations fiscales. En outre, les pratiques financières illicites des sociétés multinationales drainent les pays de leurs ressources limitées.
Une étude menée par The ONE Campaign a révélé que les transferts financiers vers les pays en développement ont chuté, passant d’un sommet de 225 milliards de dollars en 2014 à seulement 51 milliards de dollars en 2022, dernière année pour laquelle des données sont disponibles. Ces flux devraient encore diminuer. De manière alarmante, le rapport de la campagne ONE indique que plus d’un marché émergent et pays en développement sur cinq ont alloué plus de ressources au service de la dette en 2022 qu’ils n’en ont reçu en financement externe. Les donateurs d’aide ont vanté des chiffres records en matière d’aide mondiale. Mais près d’un dollar d’aide sur cinq était destiné aux dépenses intérieures destinées à accueillir des migrants ou à soutenir l’Ukraine. L’aide à l’Afrique a stagné.
Cela laisse les pays africains à la recherche de toutes les opportunités d’accès aux liquidités, ce qui en fait la proie des éboueurs de dettes. Comme l’a souligné José Antonio Ocampo, professeur à l’Université de Columbia, le Club de Paris, le plus ancien mécanisme de restructuration de la dette encore en activité, s’occupe exclusivement de la dette souveraine due à ses 22 membres, principalement des pays de l’OCDE. Avec ces tentatives limitées pour résoudre un problème structurel important d’endettement omniprésent, il est injuste de stigmatiser l’Afrique comme si elle avait contracté des dettes en raison de ses performances ou de sa mauvaise gestion.
Le rôle des agences de notation
Les agences de notation exercent une influence considérable sur le paysage financier mondial. Ils façonnent le sentiment des investisseurs et déterminent les coûts d’emprunt des pays. Cependant, leurs évaluations sont souvent empreintes de parti pris. Cela est particulièrement évident dans leur traitement des pays africains.
Les pays africains soutiennent que, sans parti pris, ils devraient bénéficier de notes plus élevées et de coûts d’emprunt inférieurs. Cela signifierait en retour de meilleures perspectives économiques, car il existe une corrélation positive entre le développement financier et les notations de crédit. Toutefois, la nature subjective du système d’évaluation gonfle la perception du risque d’investissement en Afrique au-delà du risque réel de défaut. Cela augmente le coût du crédit.
Certains pays ont contesté les notations. Par exemple, la Zambie a rejeté la dégradation de la note de Moody’s en 2015, la Namibie a fait appel d’une dégradation du statut de pays indésirable en 2017 et la Tanzanie a fait appel contre des notes inexactes en 2018. Le Ghana a contesté les notes de Fitch et Moody’s en 2022, arguant qu’elles ne reflétaient pas les facteurs de risque du pays. Le Nigeria et le Kenya ont rejeté les abaissements de notation de Moody’s. Tous deux ont évoqué le manque de compréhension de l’environnement national par les agences de notation. Ils ont affirmé que leur situation budgétaire et leur dette étaient moins désastreuses que ce que Moody’s avait estimé.
Des arguments récents de la Commission économique pour l’Afrique et du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs mettent en évidence la détérioration des notations de crédit souverains en Afrique, malgré que certains affichent des modèles de croissance supérieurs à 5 % pendant des périodes prolongées. Leur rapport conjoint identifie les défis lors des examens des agences de notation. Cela inclut des erreurs dans la publication des notes et des commentaires et dans la localisation des analystes en dehors de l’Afrique pour contourner la conformité réglementaire, les frais et les obligations fiscales.
Un récent rapport du PNUD met en lumière une réalité stupéfiante : les pays africains bénéficieraient d’un élan significatif en matière de financement par crédit souverain si les notations de crédit étaient davantage fondées sur les fondamentaux économiques et moins sur des évaluations subjectives. Selon les conclusions du rapport, les pays africains pourraient accéder à 31 milliards de dollars supplémentaires de nouveaux financements tout en économisant près de 14,2 milliards de dollars en frais d’intérêt totaux.
Ces chiffres peuvent paraître modestes aux yeux des grandes sociétés d’investissement. Mais ils revêtent une importance immense pour les économies africaines. Si les notations de crédit reflétaient fidèlement les réalités économiques, les 13 pays étudiés pourraient débloquer 45 milliards de dollars supplémentaires de fonds. Cela équivaut à la totalité de l’aide publique au développement nette reçue par l’Afrique subsaharienne en 2021.
Ces chiffres soulignent la nécessité urgente de remédier aux biais systémiques qui affectent les évaluations de crédit en Afrique.
Les prochaines étapes
Les débats sur la crise de la dette africaine penchent souvent vers des solutions centrées sur la compensation. Ceux-ci plaident en faveur d’une augmentation de l’aide publique au développement, de mesures de financement climatique plus généreuses ou d’une réduction des coûts d’emprunt grâce à des accords hybrides soutenus par les systèmes financiers internationaux.
Ces mesures peuvent offrir un soulagement temporaire. Mais il faut qu’elles constituent des solutions plus authentiques à la lumière des trois défis structurels auxquels sont confrontés les pays africains.
Teria News avec The Conversation