Elle est une figure montante de l’architecture contemporaine. « 80 % de la planète vit sous la dictature de l’architecture occidentale », dénonce-t-elle. En revalorisant les matériaux et techniques traditionnels de construction, comme les briques de terre crue, au service du bien-être et de la dignité des communautés, Mariam Issoufou décolonise une discipline et restaure des savoir-faire africains ancestraux. Portrait.
Aux côtés de Diébédo Francis Kéré, lauréat du prix Pritzker en 2022, soit la plus haute distinction du monde de l’architecture, elle est une figure montante de l’architecture contemporaine. Mariam Issoufou Kamara questionne dans ses travaux, la perspective euro-centrique des projets d’habitat et de cadre de vie de façon générale. D’origine nigérienne, Mariam Issoufou développe, à travers les projets qu’elle mène, une vision plus endogène de l’architecture qui met l’accent sur les matériaux locaux et le vivre-ensemble via la création d’environnements sains.
Mais si aujourd’hui, à 45 ans, la fille de l’ex-président nigérien a épousé sa vocation, il n’en a pas toujours été ainsi. L’amour de l’art et de l’architecture chevillée au corps, Mariam a d’abord cédé aux pressions d’une famille de scientifiques, mais aussi d’une décennie (les années 1990) marquée par le boom de l’informatique. Préférant les États-Unis à l’ex-colon, elle termine ainsi un master en sciences informatiques avant que sa passion ne la rattrape. Subitement et sans crier gare.
Une démarche professionnelle profondément identitaire
« J’avais commencé à réfléchir à son impact [l’architecture, ndlr] sur notre environnement et à comment ce métier avait été utilisé pendant la colonisation. Je me suis souvenue que lorsque je vivais avec mes parents au Niger, notre maison de classe moyenne, avec trois chambres et un salon, était en fait de style occidental, nous obligeant à passer notre vie à contourner les contraintes du plan de la maison, afin de vivre en harmonie avec notre culture. Je commençais à ressentir tout cela comme une violence extrême. C’est ce qui m’a donné l’impulsion : je ne pouvais plus ignorer tout cela, j’étais trop révoltée, d’autant plus que j’avais une conscience accrue de notre richesse culturelle, de notre histoire. »
Un de ses projets les plus remarqués est le Marché régional de Dandaji au Niger. Implantés dans une zone rurale, les marchés précédents n’étaient que temporaires, se déplaçant de village en village et fonctionnant sur une base hebdomadaire. Construit pour répondre à la croissance démographique locale, ce projet donne aux habitants de Dandaji un espace permanent pour acheter et vendre des marchandises. Le projet se concentre sur la création d’un nouvel espace visuellement attrayant pour le village, tout en conservant l’apparence des marchés d’origine. Dans cette optique, l’atelier Masomi créé en 2014 par Mariam Issoufou Kamara, a organisé les constructions autour d’un arbre ancestral, précisément le point central du précédent marché hebdomadaire : une série de structures en briques de terre comprimée, rythmées par les auvents ronds en métal, réalisations colorées qui fournissent de l’ombre sous le soleil brûlant, protégeant à la fois vendeurs et acheteurs. La forme arrondie des auvents ressemble de plus à des arbres, faisant référence à l’arbre d’origine autour duquel le nouveau marché est construit. Le projet, qui avait également pour objectif d’attirer le commerce dans la région, a fait de cet espace public un lieu de rassemblement pour la communauté et le phare du village.
Décoloniser l’architecture et l’espace en Afrique
« 80 % de la planète vit sous la dictature de l’architecture occidentale »
Le travail de Mariam Issoufou repose sur la revalorisation des techniques et matériaux traditionnels locaux comme les briques de terre crue compressées au service du bien-être, de la dignité des communautés via le respect et la restitution de cultures architecturales ancestrales. Le tout, dans le respect de l’environnement local.
Dans cet esprit, le complexe communautaire Hikma, également au Niger, a réimaginé une ancienne mosquée comme un lieu de vie abritant une librairie moderne et un centre de recherche. Conçu en harmonie avec la population locale, le complexe a été transformé en un espace d’apprentissage, de culte et de rencontres communautaires.
Selon Mariam Issoufou Kamara et la nouvelle génération d’architectes africains qu’elle représente, l’architecture ne devrait pas être corsetée dans une vision occidentale et la « modernité ». La discipline ne devrait pas seulement épouser des lignes et courbes européennes ou nord-américaines, en ignorant les références à d’autres cultures. Enseignante à l’Ecole doctorale de Design à l’Université de Harvard et en mission d’enseignement dans de nombreux pays, elle défie le statut quo et participe à transformer la façon dont nous percevons l’architecture.
Teria News