Rétrospective 2023 : Montée en puissance des BRICS, moteur de la fronde du Sud global. Avec l’échec de la contre-offensive ukrainienne et le retour de la guerre au Proche-Orient, l’Occident, emprisonné dans un deux poids deux mesures mortifère, voit son influence globale décroitre. Un recul à la mesure du réveil géopolitique du Sud global, mais qui dessine aussi un nouveau monde fracturé.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à paraître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Plus pertinente que jamais lorsqu’appliquée aux tendances et mutations géopolitiques observées ces 12 derniers mois, la phrase d’Antonio Gramsci a également le mérite de révéler l’incertitude relative qui caractérise ce renversement. Longtemps prophétisé, le basculement du centre de gravité du monde du Nord vers le Sud s’est matérialisé à travers l’élargissement des BRICS et la réalisation du potentiel démographique et technologique de l’Inde, discret mais second géant asiatique qui tire vers le haut la croissance mondiale.
Sur le grand échiquier, si l’avantage du Sud a été conquis par la désindustrialisation du Nord en faveur de sa main d’œuvre bon marché, sa résilience face aux différents chocs économiques et sanitaire ou encore l’affirmation de ses particularismes culturels devant la déferlante mondialiste aux prétentions universalisantes, les erreurs de l’Occident, englué dans deux conflits de haute intensité, l’un en Ukraine, l’autre au Proche-Orient, mais aussi sur le terrain froid de la mer de Chine, ont aussi joué en faveur du Sud.
Montée en puissance des BRICS, moteur d’une fronde globale
En aout 2023, les yeux du monde étaient braqués sur l’Afrique du Sud où les BRICS ont accueilli 6 nouveaux membres. Fait rarissime, les pays du Nord observaient un évènement géopolitique majeur, encré au Sud, et qui ne les concernait pas. Le signe d’un changement de paradigme et d’une mise en minorité de l’Occident. Au 1er janvier 2024, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Argentine, quoi que récalcitrante de Javier Milei, intégreront officiellement le groupe.
Militant en faveur d’un nouvel ordre mondial, les BRICS s’opposent à l’impérialisme de la norme, voire de la vertu : sur le plan de la gouvernance avec l’imposition de la démocratie, culturellement avec le wokisme, économiquement avec la dédollarisation et dans les relations internationales avec le respect de la souveraineté des États partenaires. Toutefois, les BRICS se conçoivent, autant comme une organisation parallèle au G7 ou au tandem FMI/Banque mondiale avec la Nouvelle banque de développement, que comme une force d’influence pour imposer une réforme plus égalitaire des hauts lieux de la gouvernance financière et politique mondiale, avec en ligne de mire, l’élargissement des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.
Avec leurs nouveaux membres, la part des BRICS+ passe à 45% de la population globale et 37.3% du PIB en termes de parité de pouvoir d’achat, contre respectivement 16.1% et 29.9% pour le G7. Si les exportations mondiales sont toujours dominées par le G7 (28.8% contre 23.4% pour les BRICS+), avec 38.3% contre 30.5%, la production industrielle elle, bascule en faveur du Sud. En termes de ressources, les BRICS+ revendiquent désormais 44.4% des réserves de pétrole contre à peine 3.5% pour le G7, et 79.2% de la production annuelle d’aluminium contre 1.3% pour le G7.
Un nouveau monde « à la carte » et fracturé
Pour autant, l’émergence du Sud global ne se fait pas sans contradictions, divisions, ou victimes. En effet, vitrine de sa montée en puissance, le club des BRICS est traversé par de profonds antagonismes, un multi-alignement exacerbant contradictions et rivalités internes et une croissance criblée d’inégalités sociales.
Ainsi, la Chine entretient-elle des contentieux territoriaux avec tous ses voisins, dont la Russie et l’Inde. New Delhi pour sa part, est membre d’une des deux coalitions militaires forgées par Washington pour contenir les ambitions chinoises dans le Pacifique, soit le QUAD (États-Unis, Japon, Australie, Inde depuis 2007). Quant aux nouveaux arrivants, le dégel entre Riyad et Téhéran, déjà fragile, a failli être hypothéqué par l’attaque du Hamas sur Israël. Survenue le 7 octobre dernier, elle a porté un coup d’arrêt à la normalisation en cours des relations entre l’Arabie Saoudite et l’État hébreu. Vu d’un mauvais œil par l’Iran, l’élargissement des accords d’Abraham en échange d’un parapluie sécuritaire américain à Riyad, aurait fait de Téhéran l’ennemi public régional. La guerre entre Israël et le Hamas qu’il finance, et plus particulièrement, la riposte disproportionnée de Tel Aviv contre la population Gazaouie, permet au contraire à l’Iran de maintenir à Israël la figure d’ennemi régional.
Par ailleurs, les membres des BRICS ont jusqu’ici, à l’exception de la médiation par la Chine du rapprochement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite en mars dernier, manqué de faire entendre leurs voix, au-delà des appels quasi incantatoires à la paix, dans les crises sécuritaires régionales et mondiales. Ainsi, à l’instar de leur rôle dans les médiations visant à mettre un terme à la guerre entre Israël et le Hamas, les BRICS et bientôt BRICS+, semblent briguer les avantages de la puissance sans toutefois en endosser les responsabilités.
Reste qu’après les attaques du 7 octobre, le hiatus révélé par le conflit russo-ukrainien entre l’Occident et le Sud global, s’est encore élargi avec des accusations similaires de deux poids, deux mesures. Se greffant l’un sur l’autre, les deux conflits dessinent des lectures polarisées de la notion de justice dans l’ordre mondial et précipite la perte d’influence globale du Nord.
Teria News