À quoi joue Lomé ? Adhésion au Commonwealth, médiation entre le Mali et la CEDEAO, opposition à l’option militaire au Niger, création de l’Alliance politique africaine (APA) et organisation d’un Forum Paix et Sécurité sortant le CNSP nigérien de son isolement sous-régional, le Togo se positionne comme nouveau pôle d’une diplomatie alternative, voire comme leader d’un panafricanisme institutionnel. Quid du respect des droits de l’Homme ?
Après avoir longtemps focalisé l’attention des défenseurs continentaux des Droits de l’Homme pour la brutalité du régime contre toute voix dissidente, le Togo est parvenu ses dernières années à se réinventer comme plateforme d’une diplomatie alternative sous-régionale, mais aussi continentale. Comment Faure Gnassingbé, héritier d’une dynastie politique longue de plus d’un demi-siècle, a-t-il pu opérer un tel pivot ?
Pilier de la Françafrique, le Togo qui demeure la cible de figures panafricanistes de la société civile est paradoxalement parvenu à gagner la confiance des dirigeants antisystème et souverainistes de la sous-région. En effet, depuis le second coup d’État du colonel Assimi Goïta, le président togolais a émergé comme médiateur à même de faire tampon entre les putschistes d’un côté et la CEDEAO de l’autre. Les autorités maliennes de Transition n’ont, à cet égard et à de nombreuses reprises, pas manqué de faire part de leur gratitude envers la médiation togolaise et le leadership de Faure Gnassingbé qui « sait comment (leur) parler », avait apprécié Abdoulaye Diop. Le très populaire ministre malien des Affaires étrangères était alors investi sur le dossier de la suspension des sanctions communautaires contre le Mali et l’acceptation par la CEDEAO d’un calendrier de Transition de 24 mois. Un chronogramme de retour à l’ordre constitutionnel aujourd’hui prorogé par Bamako au motif de la prise d’otage de la Base de données du Recensement Administratif à Vocation d’état civil (RAVEC) par le prestataire français IDEMIA pour non-paiement d’une dette de plus de 5 milliards de francs CFA par l’État malien.
Basculement géopolitique ou jeu d’équilibriste ?
« L’APA, est une Alliance pour le devenir du panafricanisme, c’est une alliance autour d’un engagement commun, un défi africain et la riposte contre la menace terroriste. C’est aussi une alliance pour la pacification durable du continent, une alliance au nom et pour la défense des intérêts communs des Africains. C’est une alliance pour une Afrique forte et décomplexée, pour une Afrique qui parle d’elle-même sur la scène internationale et pour la défense et la promotion des positions communes africaines. C’est enfin une participation équitable de l’Afrique à la gouvernance mondiale »
Robert Dussey, ministre togolais des Affaires étrangères
Après que le Togo ait rejoint le Commonwealth en juin 2022, c’est encore à Lomé que les ministres des Affaires étrangères d’une dizaine pays du continent (Angola, Burkina Faso, Centrafrique, Gabon, Guinée, Libye, Mali, Namibie, Tanzanie et Togo) se sont discrètement rassemblés le 3 mai 2023 pour lancer l’Alliance politique africaine (APA). Avec pour objectif d’« œuvrer pour une Afrique décomplexée, politiquement forte, non-alignée, indépendante et agissant de façon souveraine sur la scène internationale », l’APA qui se veut un cadre informel d’échange mais aussi de prise de décision, est un désaveu pour les institutions sous-régionales et l’Union africaine (UA) et de facto une plateforme continentale de diplomatie alternative.
Dépolariser l’espace sous-régional
Ce weekend, le Togo a organisé le premier Forum Paix et Sécurité régionale de Lomé (FPSL) sur les Transitions et plus largement, les questions politiques et sécuritaires qui ont engendré ces régimes d’exception. Appuyé par l’UA et l’ONU, le forum a été marqué par une réunion des ministres des Affaires étrangères de dix pays dont ceux des régimes militaires du Mali, Burkina Faso et du Niger.
Iconoclaste de par la liberté de ton des différentes prises de parole, le Forum est aussi la première conférence régionale officielle où le CNSP nigérien, jusqu’ici ostracisé, est invité à s’exprimer. Une invitation qui officialise une ère de Transition nigérienne, par ailleurs reconnue par les États-Unis qui, selon le Financial Time, ont entamé un dialogue officiel avec les nouvelles autorités de Niamey.
À l’adhésion du Togo au Commonwealth, au lancement de l’APA et à l’organisation du FPSL, s’ajoutent les discours souverainistes, aux sonorités anti-impérialiste et antisystème de Robert Dussey. Mais alors que le Togo se positionne comme nouveau leader d’un panafricanisme institutionnel, quid du sort des prisonniers politiques, du respect des contre-pouvoirs et des droits de l’Homme ? Autant de contradictions qui portent atteinte à la crédibilité de Lomé dans son nouvel élan diplomatique.
Teria News