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Il pleut des coups d’État en Afrique : un Harmattan réformateur ?

Vague de coups d’État, une seconde décolonisation par les armes ? Aux yeux de la base, balayer les régimes civils équivaut à faire œuvre de refondation et à prendre une revanche sur des indépendances factices qui continuent de les priver de souveraineté et par conséquent, de dignité nationale. La vague de coups d’État dans la région Ouest-Africaine s’adosse ainsi sur une relecture 2.0 du panafricanisme. Analyse.

Depuis le coup d’État malien du 18 août 2020, les hommes en treillis se sont à nouveau imposés au rang des protagonistes sur le continent africain, menaçant d’évincer une classe politique focilisée, sinon par le poids du temps sur la matière, du moins par leur manque d’imagination dans la réponse à apporter aux défis structurels qui compromettent la crédibilité de l’État régalien et de la démocratie libérale. Entre le premier coup d’État malien du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) et le putsch gabonais, en passant par le coup de force institutionnel issu de la succession à Idriss Déby Itno au Tchad, le « coup d’État dans le coup d’État » du colonel Assimi Goïta, le renversement du triplement mandaté Alpha Condé en Guinée ou la contre-révolution de la junte soudanaise, un Harmattan souffle sur l’Afrique.  

L’heure du bilan semble avoir sonnée pour les dirigeants civils continentaux, en particulier sous les latitudes Ouest-africaines, en témoigne le putsch perpétré il y a un an par les hommes du capitaine Ibrahim Traoré, évinçant en 24 heures le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba huit mois seulement après que ce dernier ait déposé Roch Marc Christian Kaboré par les armes. Désormais épicentre du terrorisme sahélien devant le Mali, l’exécutif du Burkina Faso paie cash le prix de l’émiettement de son territoire par les groupes terroristes. Devant l’urgence de la situation sécuritaire et l’échec de la riposte politico-militaire à elle apportée, le respect du temps moyen d’un cycle électoral pour apporter un changement institutionnel au cap donné par ses élites parait obsolète à certains burkinabè.

Si l’avènement au pouvoir de Paul-Henri Sandaogo Damiba a été accueilli avec tiédeur par ses compatriotes attendant de le juger sur ses résultats, celui d’Ibrahim Traoré a été, dès lendemain de son putsch, appuyé par une mobilisation qui a révélé l’impopularité de son prédécesseur. En effet, à la capacité du chef de l’État à endiguer le terrorisme, les burkinabè ajoutent l’exigence de gages de bonne gouvernance et de souverainisme. Ce dernier se traduit par une diversification des partenaires du pays, chose que le jeune capitaine a amorcée dès ses premières sorties médiatiques. Accusé par la jeune garde du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR) d’avoir « trahi » leur « idéal de départ » en persistant avec l’ « articulation militaire qui a été à la base de l’échec du régime du président Roch Marc Christian Kaboré », les griefs des jeunes officiers reposent sur les mêmes piliers : d’une part, la politique sécuritaire, d’autre part, la bonne gouvernance caractérisée ici par « l’indépendance de la justice » mise à mal par la « restauration d’un ordre ancien » et enfin, le souverainisme, se traduisant par une rationalisation des relations bilatérales avec Paris.

De la légitimité de se révolter

« La nature a horreur du vide », dit l’adage. Or, les dirigeants sahéliens sont perçus comme n’occupant qu’un rôle protocolaire face à des enjeux sécuritaire, souverainiste mais aussi de développement qui leur échappent et dont les promesses de résolution, sans cesse conjuguées au futur incertain, sont devenues inaudibles par la base. Ainsi, une certaine Afrique rejette la démocratie libérale, souvent caricaturée comme un modèle exogène, imposé par l’Occident via ses chancelleries, les institutions de Bretton Woods, et plus récemment, via les organisations régionales comme la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO).

Dans ce contexte, l’exigence de la tenue d’élections est assimilée à un totémisme auquel la base refuse de déférer, lui préférant une remise à plat, quitte à passer par la case des coups d’État militaires. « Le variant Assimi Goïta se propage dangereusement !», « À qui le tour ? » ou « Coup d’État au Mali (223), Coup d’État en Guinée (224), Ils ont sauté la Côte d’Ivoire (225), Coup d’État au Burkina Faso (226), quel nombre vient après ? », peut-on lire sur les réseaux sociaux.

Ce décalage entre attentes populaires et réalité, crée un gouffre entre gouvernants et gouvernés pouvant aller jusqu’à la rupture du contrat social. Les peuples frondeurs sont-ils en faute dans leur soutien à une rupture de l’ordre constitutionnel ? Convoquer John Locke, parmi les pères du contrat social, permet une lecture nuancée du chaos institutionnel observé en Afrique de l’Ouest. L’auteur considère le contrat de soumission à une autorité centrale révocable car conditionné par la capacité du gouvernement à assurer la sécurité des gouvernés et à maintenir un ordre juste. Locke reconnait ainsi au peuple un droit à l’insurrection, même par la violence. Au vu du climat social qui a précédé le coup de force malien d’août 2020, alors électrisé par le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), la contestation réprimée dans le sang du Front National de Défense de la Constitution (FNDC) contre le troisième mandat d’Alpha Condé et la grogne sociale dans laquelle s’est inscrite le putsch burkinabè, les populations estiment que les militaires du CNSP, du Comité National de Rassemblement et de Développement (CNRD) et du MPSR n’ont fait que parachever une révolte populaire. Les cas nigérien et gabonais s’inscrivent dans des dynamiques différentes. Initié en réaction à une réforme du secteur pétrolier visant à démanteler des mécanismes d’appropriation de la manne pétrolière par un clan, le premier a trouvé un écho populaire en soufflant sur les braises d’aspirations souverainistes portées par la base. « Révolution de palais » aux intrigues multiples, le putsch gabonais, de par le parcours et la crédibilité des acteurs engagés, interroge sur sa capacité à marquer une réelle rupture avec l’ordre ancien. En Afrique de l’Ouest comme centrale, les sauveurs d’un temps se révèleront-ils des rédempteurs ?

Des transitions pour le moins incertaines

Seule la convocation du passé pourrait éclairer le présent. Toutefois, même la meilleure boule de cristal ne peut que lever un voile sur l’avenir de ces transitions. D’autant que si les travaux sur le sujet offrent un cadre théorique à la compréhension des changements de régimes autoritaires vers des régimes démocratiques, ils ne donnent que peu de clés pour appréhender les changements de régimes démocratiques impopulaires à des régimes de transition militaires ou mixtes (militaire et civil), sources d’espoirs populaires. À moins de les considérer comme des phases de « reflux », s’inscrivant toujours dans la troisième vague de démocratisation, quoi que non-autoritaires jusqu’à présent, selon les formules de Samuel Huttington. 

« Ce dont nous avons besoin dans ce pays, c’est de faire en sorte que si le diable lui-même venait à gouverner au Ghana, certaines procédures pratiques l’empêcheraient de faire ce qu’il veut. Il serait obligé de faire ce que le peuple attend de lui », disait Jerry Rawlings. « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts ; elle a besoin d’institutions fortes », affirmait Barack Obama. Si juxtaposées, ces deux phrases défendent la même idée, leurs auteurs illustrent le dilemme face auquel sont posés les scientifiques. Faut-il un homme fort pour instaurer des institutions fortes ou les institutions fortes sont-elles uniquement le fruit d’une répétition de pratiques données, en d’autres termes, le changement s’effectue-t-il par le haut ou par le bas ?

Putschiste multirécidiviste, Jerry Rawlings est le contre-exemple africain par excellence du sombre despote. Après avoir fait chou blanc le 15 mai 1979, il dépose le président Fred Akuffo le 4 juin de la même année. Puis, il cède le pouvoir au régime civil du président Limann le 24 septembre pour le reprendre le 31 décembre 1981 car estimant le gouvernement corrompu. Porté à la tête du pays comme président du Conseil Provisoire de Défense Nationale, il dirige le Ghana pendant 10 années durant lesquelles il combat récession et inflation pour les établir respectivement à 5 et 10%. Touché par la vague de démocratisation des années 1990, Rawlings instaure le multipartisme et fonde le Congrès Démocratique National qui a porté au pouvoir John Dramani Mahama en 2012. Jerry Rawlings est élu président le 7 décembre 1992 et se retire après deux mandats successifs, conformément à la Constitution ghanéenne écrite sous son leadership.

L’exemple de Jerry Rawlings et de son frère d’armes Thomas Sankara, respectivement considérés comme les pères des démocraties ghanéenne et burkinabè, ou encore de Seyni Kountché, toujours célébré par les nigériens, sont des cas marginalisés par les mauvais exemples de gouvernance militaire en Afrique, compromettant la thèse des démocrates en armes. La gestion calamiteuse des affaires par les civils ne plaidant pas non plus leur cause, les peuples de la sous-région ont le sentiment de devoir choisir entre la peste et le choléra.

Seconde décolonisation par les armes ?

  « Seul le Mali mérite de fêter son indépendance. Les autres là, c’est anniversaire de la colonisation vous fêtez ! »

  « Bonne fête au seul peuple et aux seules autorités de l’ex Afrique occidentale française à avoir le droit et la légitimité de célébrer une indépendance en cours de téléchargement. Fière de vous, frères et sœurs du Mali. Allons jusqu’au bout : sortie de la Cedeao et du franc cfa.»

Outre la faillite de la démocratie et des élites qu’elle a porté au pouvoir, les putschistes sous-régionaux s’appuient sur le sentiment de dépossession qui traverse la jeunesse, aujourd’hui persuadée d’avoir été flouée par la France et les élites francophiles il y a 60 ans. Ils en sont persuadés : Paris et ses relais continentaux ont pris en otage leur souveraineté à la faveur d’indépendances piégées, nids de la Françafrique. Néologisme désignant un système « qui a permis au colonialisme de survivre à la ‘‘décolonisation’’ », le sens moderne du terme Françafrique a été popularisé par François-Xavier Verschave, fondateur de l’association « Survie ». Conspuée, autant par les voix autorisées que non autorisées, la Françafrique repose sur quatre piliers : économique, financier (franc CFA), militaire et politique. 

Aux yeux de la base, balayer les régimes civils équivaut à faire œuvre de refondation et à prendre une revanche sur des indépendances factices qui continuent de les priver de souveraineté et par conséquent, de dignité nationale. Socles du soutien aux putschs, ces représentations populaires se sont forgées sur le temps moyen grâce à la révolution numérique. En effet, les réseaux sociaux constituent l’espace privilégié de prolifération de voix non autorisées. Plus ou moins érudites, elles propagent une contre-histoire et un contre-narratif qui affirme souvent s’inscrire dans une mission, voire un impératif de dévoilement et de restitution d’une vérité cachée ou travestie par le système éducatif et les médias traditionnels, qui seraient au service d’un néo-impérialisme français.

Pages ou groupes Facebook, Instagram et Telegram, comptes YouTube, ces espaces se revendiquant volontiers comme anticonformistes, ont gagné en audience ces dernières années. Parmi ces canaux, certains titulaires de comptes comme Nathalie Yamb ou « La Dame de Sotchi » telle que baptisée après le large écho reçu par son discours anti Françafrique donné lors du dernier sommet Afrique-Russie (2019), et Kemi Seba, meneur du Front anti-CFA, sont particulièrement influents. À eux seuls, ces deux figures de proue du renouveau panafricaniste cumulent respectivement 447 000 et plus d’un million d’abonnés Facebook et YouTube. De plus, une fois publiés sur leurs comptes, leurs contenus sont repartagés des milliers de fois par leurs audiences. Aux côtés de ces deux noms, plutôt centrés sur des revendications politiques, foisonnent des dizaines de pages, comptes, groupes et sites internet investissant davantage l’aspect culturel d’une certaine reconquête de la fierté et de l’identité Noire (Nofi, Lisapo ya Kama, Histoire d’Afrique et des Peuples Noirs…).

Également symptomatique d’un renouveau panafricaniste « par le bas », par opposition au panafricanisme des élites telles que W.E.B du Bois, Kwame Nkrumah ou encore Patrice Lumumba, le Front anti-CFA a contribué à préparer le terrain au rejet populaire d’un système que les coups de force militaires sont sensés décapiter. Centré sur l’abolition du franc CFA, monnaie commune aux pays de l’Union économique et monétaire Ouest-africaine (UEMOA) et cristallisant les accusations de néo-colonialisme à l’égard de la France, le Front anti-CFA milite aussi contre la présence des bases militaires étrangères et la mauvaise gouvernance des dirigeants (népotisme, gabegie, corruption). Ainsi, l’organisation Urgences panafricanistes, un des acteurs du Front, fondée par Kemi Seba, affirme dans un même souffle, avoir « contribué de manière effective plus qu’aucune autre organisation africaine au 21ème siècle à la résurgence de la lutte contre la Françafrique et le néocolonialisme, à travers notamment ses actions contre le Franc CFA et les bases militaires occidentales sur la Terre-Mère. »  Marquant la vie politique et sociale des années 2017, 2018 et 2019 dans la sous-région Ouest-africaine (jusqu’à l’annonce de la réforme de l’Eco en décembre 2019), l’activisme du Front a participé de la diffusion d’idées aujourd’hui partagées par les soutiens aux putschistes. Pillage des ressources du continent sous prétexte de lutter contre une menace terroriste accusée d’être attisée dans l’ombre par l’Hexagone, exploitation économique appuyée par le franc CFA, vassalisation des élites aux intérêts de Paris et des multinationales françaises… ces croyances sont aujourd’hui des acquis, solidement ancrées dans les esprits des internautes, nourrissant la défiance, voire l’hostilité observée à l’égard de la France et des régimes amis de Paris. La vague de coups d’État dans la région Ouest-Africaine s’adosse ainsi sur une relecture 2.0 du panafricanisme, toutefois jugée réactionnaire et irrationnellement nourrie par la désignation d’un bouc-émissaire selon ses contradicteurs.

Aux yeux d’une génération de panafricanistes s’appuyant sur ces discours croisés de dirigeants français et maliens, le Mali est le précurseur d’une nouvelle vague de décolonisation laquelle, contrairement à celle des années 1960, affranchira réellement la sous-région de la tutelle française tout en servant de détonateur à un printemps africain susceptible de mener à une véritable souveraineté populaire, aujourd’hui confisquée par une élite rongée par des conflits de loyauté.

Ce soutien régional, continental, voire diasporique aux régimes de Transition contre la « France politique » et non pas le peuple français comme le sous-entend l’expression « sentiment anti-français », exprime des frustrations liées à un sentiment de dépossession qui, trouve lui-même ses racines dans l’opacité des processus de décolonisations d’après-guerre. Il s’inscrit par ailleurs dans une volonté de diversification des partenariats sécuritaires et politiques à la faveur d’un regain de la guerre d’influence que se livrent les grandes puissances sur le continent africain. Si certains accueillent russes, turcs ou chinois comme des sauveurs, d’autres n’y voient que l’opportunité de tirer profit du conflit larvé entre des concurrent qui n’ont que le mérite de disputer à la France son « aire d’influence », voire même, de le faire sur des bases épurées. 

Wuldath Mama  

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