« Il leur met 64 ? La jeunesse lui re-mai 68 ». Manifestations monstres, blocages, violences, une semaine après l’usage du 49.3 pour adopter la réforme des retraites, la colère sociale ne redescend pas. Une crise de régime portée par un climat pré-révolutionnaire.
Avec un million de personnes dans les rues jeudi, d’après les chiffres publiés par la police et 3.5 selon les manifestants, le passage en force du gouvernement d’Elisabeth Borne pour faire adopter la réforme du régime des retraites a allumé les braises d’une poudrière sociale, politique et institutionnelle. D’une « simple » dimension sociale, la crise qui traverse l’Hexagone depuis l’ouverture des débats sur la réforme voulue par Emmanuel Macron, revêt désormais tous les aspects d’une crise de régime. En cause, non plus seulement l’adoption d’une réforme contestée dans la rue et dans les chaumières, mais la pertinence des institutions de la Ve République.
Plaidoyer pour l’avènement d’une VIe République
49.3, la démocratie à la retraite? Aujourd’hui, en plus de réclamer le retrait d’une réforme impopulaire, les protestations portent également un « plus jamais ça ». Pour une majorité de Français, il est inacceptable qu’après deux mois de mobilisation sociale massive, un exécutif s’emmure dans son projet en s’appuyant sur le 49.3. Autrement dit, la colère exprimée dit un déphasage entre population française et ses institutions. Sulfureux article de la Constitution, le 49.3 a été pensé pour permettre au gouvernement de légiférer sans être limité par les dérives parlementaires qui ont caractérisé la IVe République où l’action de l’exécutif était paralysée par les renversements successifs de gouvernement. De plus, la Constitution de 1958 a été écrite pour gouverner dans le contexte de la crise causée par le putsch d’Alger ou coup d’État du 13 mai. En conséquence, il ne s’agissait pas de fournir au gouvernement des motifs de surdité contre une mobilisation sociale.
Ainsi, la crise actuelle pose-t-elle à nouveau le débat entre légalité et légitimité, soit la conformité à un principe supérieur qui dans une société et à un moment donné est considéré comme juste. En effet, si l’usage du 49.3 est légal, sa légitimité pose question, après un demi-siècle de stabilité démocratique.
Une majorité relative pour une légitimité également relative
Drapé dans une légitimité issue de sa réélection à la tête de l’État français, Emmanuel Macron estime aujourd’hui avoir été élu sur son programme dont le point phare était sa réforme des retraites. Seulement, quelques heures après son élection, le président français avait reconnu ne pas avoir rassemblé ses compatriotes sur son programme, mais bel et bien contre la candidate d’extrême droite Marine le Pen. De plus et en guise de rappel, les législatives qui ont suivi, lui ont seulement accordé une majorité relative. Mais la lucidité de l’Élysée a rapidement cédé place à l’arrogance dont les Français créditent souvent leur chef d’État. Opportunément amnésique, Emmanuel Macron préfère à présent considérer avoir toute la légitimité pour conduire une réforme si impopulaire. Une forfaiture démocratique, dénoncent les Français.
Donné mercredi 22 mars, son entretien télévisé n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Elle mettait en scène un Emmanuel Macron trop assuré pour exprimer un quelconque regret. Perçue comme suffisante, l’image renvoyée au peuple a solidifié défiance et colère contre la surdité des élus.
Avec 80 universités bloquées, plus de 400 lycées mobilisés, l’université Paris-Panthéon Assas bloquée pour la première fois de son histoire, un vent de révolution souffle sur la France.
Jusqu’où ira la colère sociale? Inaudible par le pouvoir, elle pourrait trouver un écho au niveau des « sages » du Conseil constitutionnel. Désormais dernier recours des manifestants, il est chargé d’examiner la conformité du texte de la réforme avec la Constitution. Mais dans un contexte de crise de régime, son rôle pourrait ici dépasser ses attributions institutionnelles. Il est aujourd’hui, plus que jamais, éminemment politique.
Teria News