« L’âge de la Françafrique est révolu », a déclaré jeudi 2 mars Emmanuel Macron au Gabon. Selon le président français, fini les postures morales de donneur de leçon dont Paris, en perte d’influence en Afrique, n’a plus les moyens. Place au « tout business », politiquement « neutre ». Mais sa visite est un triomphe pour Ali Bongo, réhabilité.
Historiquement, comme l’énergie et la matière, la Françafrique, ce « gros mot » politique, ne meurt pas, mais se transforme. À travers le temps, les relations incestueuses entretenues entre les élites politiques et économiques de Paris avec les chancelleries de ses anciennes colonies ont démontré leur capacité à se régénérer. « L’âge de la Françafrique est révolu », déclare pourtant Emmanuel Macron, alors en visite au Gabon. Loin d’être le premier à enterrer la Françafrique, le 8e président de la Ve République française ne sera pas non plus le dernier. Compte tenu de sa nature protéiforme, d’aucuns se demandent plutôt : quelle forme prendra-t-elle cette fois ?
En perte d’influence sur le continent africain, Paris entérine un glissement dont la pente du crédit moral est impossible à remonter. Lucide, alors qu’il participait au One Forest Summit, sommet co-organisé par la France et le Gabon consacré à la gestion durable des forêt tropicales, Emmanuel Macron positionne désormais son pays en « interlocuteur neutre » de l’Afrique.
« Les mentalités n’évoluent pas au même rythme que nous quand je lis, j’entends, je vois qu’on prête encore à la France des intentions qu’elle n’a pas, quelle n’a plus »
Emmanuel Macron, président français
Un Hard power économique et un Soft power culturel
Le président français désire se détacher d’une position de donneur de leçons. Ainsi, le soft power hexagonal se déploiera à présent uniquement sur le plan de la coopération culturelle avec pour fer de lance, l’approfondissement du dossier des restitutions d’œuvres pillées pendant la colonisation, ouvert au cours de son premier mandat et dont l’acte fondateur fut la restitution symbolique de 26 œuvres du Trésor royal d’Abomey au Bénin en 2022. Le soft power se voit donc officiellement dégraissé du paternalisme des Droits de l’Homme. À géométrie variable, au rythme de ses intérêts locaux, Paris y a laissé sa crédibilité aux yeux des opinions publiques africaines qui ne lui pardonnent pas son « deux poids, deux mesures », récemment illustré par la dichotomie de traitement entre d’une part, le coup d’État institutionnel de Mahamat Déby au Tchad, notamment soutenu par la présence d’Emmanuel Macron à son investiture et d’autre part, l’hostilité diplomatique envers les autorités maliennes de Transition.
Sur le plan du hard power, la stratégie française se concentre désormais sur la promotion de l’expertise de ses fleurons industriels. En exploitant les relais offerts par la diaspora, Paris veut, à défaut de conquérir de nouveaux marchés dans un environnement hautement concurrentiel où ses parts dans l’économie continentale sont avalées par la Chine, l’Inde et la Turquie, du moins maintenir ses positions. L’offensive d’Emmanuel Macron se veut ainsi purement économique. Le militaire, vu comme « l’assurance vie » des potentats continentaux depuis 60 ans, est officiellement relégué au plan secondaire. Toutefois, le président français récuse toute notion de « retrait » ou de « désengagement » à connotation trop humiliante dans un contexte de départ forcé de ses forces armées du Mali, du Burkina Faso et de la Centrafrique.
Pas d’adoubement pour Ali Bongo mais une victoire politique
Accusé de complicité dans la succession contestée d’Ali Bongo à son père en 2009 et à son maintien au pouvoir en 2016, l’Hexagone nie adouber la candidature du président gabonais affaibli à un troisième mandat. Reste qu’à 5 mois de la prochaine échéance présidentielle, Ali Bongo sort renforcé de cette visite.
Dans un contexte de concurrence entre partenaires, son adhésion au Commonwealth lui aura permis de solidifier l’axe Libreville-Paris, boudé qu’il était par les présidents français depuis une décennie. Sorti de son isolement par les piliers anglophones et francophones, il en ressort grandi sur la scène régionale et internationale. Enfin, en amont du scrutin présidentiel, la visite d’Emmanuel Macron devrait aussi calmer les ambitions d’outsiders.
Teria News