Le peuple soudanais refuse de voir sa révolution confisquée par l’armée. Malgré l’accord entre militaires et civils conclu le 5 décembre, la rue continue de gronder contre un pacte de Transition dénoncé comme « vague », « opaque » et qui maintient les militaires au pouvoir.
Perpétré en octobre 2021 contre le gouvernement d’Abdallah Hamdok, à peine quelques semaines avant le transfert de la présidence du Conseil souverain de Transition (organe chargé de piloter cette période jusqu’à des élections initialement prévues se tenir en 2022) à un civil, le coup d’État de l’armée soudanaise n’a jamais été digéré par le peuple.
Depuis et sans relâche, malgré la répression des marches populaires qui a fait plus de 122 morts selon les soignants, la faim et les accords en confettis signés entre civils et militaires pour perpétuer une période d’instabilité institutionnelle qui arrange les intérêts de tous sauf les siens, la rue soudanaise maintient la pression contre ses dirigeants pour obtenir, enfin, un pacte de Transition digne de ses aspirations légitimes. Avant tout, la libération de l’économie nationale, otage de l’élite soudanaise incarnée par les hauts gradés de l’armée, de la gabegie, la corruption et encore étouffée par les sanctions internationale (en dépit de leur allègement par les États-Unis). Puis, le respect des libertés fondamentales et de l’État de droit. Ainsi, les soudanais réclament justice pour les forfaits de l’ancien régime d’Omar el-Béchir et pour les brutalités subies par manifestants et opposants depuis sa chute sous la pression de la rue, ralliée par l’armée en 2019.
Un accord décrié par la population soudanaise
« Nous sommes opposés à cet accord qui n’est pas clair concernant nos demandes de justice et de responsabilité (…) Nous n’avons plus confiance en l’armée. On leur a donné notre confiance par le passé et ils ont mené un putsch »
Manifestante soudanaise
« Non à l’accord ! », scandait mardi la foule massée aux abords du palais présidentiel de Khartoum où réside le chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhane depuis son coup d’État du 25 octobre 2021.
Dans le viseur des manifestants, l’accord-cadre conclu le 5 décembre dernier entre l’armée d’une part, incarnée par le général al-Burhane et le commandant paramilitaire Mohamed Hamdan Daglo (ancien commandant des milices arabes janjawid, épinglées pour leurs crimes dans le conflit au Darfour), respectivement numéro un et deux du Conseil souverain et les civils d’autre part, notamment les Forces pour la liberté et le changement (FFC) évincés par le putsch d’il y a un an. Le texte prévoit la désignation, par les civils, d’un Premier ministre chargé de mener une nouvelle période de Transition de 24 mois supplémentaires. Le document engage par ailleurs les parties à installer une justice transitionnelle ainsi qu’à réformer les services de sécurité et l’armée. Toutefois, quasiment dépourvu d’échéances, l’accord est d’ores et déjà jugé « vague » et « opaque » par les soudanais qui peinent à y voir la feuille de route tant espérée vers une sortie de crise.
Déclenchée par le triplement du prix du pain, la révolution soudanaise a été arrachée par la mobilisation du Front pour la liberté et le changement (FLC), rallié ensuite par une faction dissidente de militaires auteurs du lâchage d’Omar el-Béchir. Elle connait son apogée le 11 avril 2019 avec la démission de l’autocrate, jusque-là réputé indéboulonnable. Alors que deux tiers de la population soudanaise a moins de 25 ans, le changement exigé par les manifestants est également un impératif démographique.
Teria News