En s’abstenant massivement de voter en faveur de réparations russes à Kiev, l’Afrique s’oppose fermement au tropisme ukrainien des Nations unies. En proie à des conflits armés meurtriers, le continent dénonce l’indignation sélective de la communauté internationale et réclame des réparations pour l’esclavage et la colonisation.
Embarrassant. L’issue du vote des Nations unies, tenu le 14 novembre, sur des réparations russes à l’Ukraine pour l’indemniser du « préjudice matériel et humain » causé par l’entrée en guerre de Moscou contre Kiev traduit une colère. Jusqu’ici latente, elle a éclaté au grand jour pour dire la frustration du Sud global devant l’attention inégale reçue par la détresse des peuples sur le globe. Non contraignante, la résolution onusienne est passée à un cheveu de l’échec. En effet, avec 94 voix pour, 14 voix contre (dont le Mali et l’Érythrée), 73 abstentions principalement issues du continent africain, le oui l’emporte de seulement sept voix. Mais la mise en garde lancée par les pays africains sera-t-elle entendue ?
L’Afrique dit non à l’indignation sélective
Tout en rappelant son attachement au principe de respect de l’intégrité territoriale de tous les États, l’Afrique du Sud a estimé que « l’ONU devrait faire davantage pour consacrer un temps égal au règlement de toutes les situations de conflit qui menacent la paix et la sécurité internationales. » Et Prétoria de regretter que l’Assemblée générale envoie un message « d’exception et que les réparations étaient importantes dans certaines situations mais pas dans d’autres. Les États membres doivent s’abstenir de deux poids deux mesures. »
Emboitant le pas à l’Afrique du Sud, le Kenya a également déploré une « géométrie variable » dans le traitement des causes. « Si l’Ukraine avait le droit souverain de réclamer les dommages et pertes causés par le conflit actuel, il en était de même pour tous les peuples et pays qui avaient demandé réparation pour la violence coloniale, l’esclavage et d’autres actes d’agression. (…) Tous les États membres devraient être prêts à entendre les appels des autres pays à rendre des comptes pour les injustices historiques », a déclaré Nairobi.
Sur la même ligne que le Kenya, la Sierra Léone a, pour sa part, jugé que « l’Assemblée générale n’est pas un organe juridictionnel et ne peut énoncer des conséquences juridiques ; elle doit reconnaître toutes les victimes des injustices historiques, y compris le racisme, le colonialisme et l’esclavage. Les réparations concernent à la fois le passé et le présent. »
Pourtant allié de l’Occident sur le continent, l’Égypte a, elle aussi, dénoncé le double standard pratiqué par certains pays en exhortant l’Assemblée générale à « entreprendre une approche cohérente à l’avenir sur ses pratiques. »
Quant à la République Démocratie du Congo, à nouveau aux prises avec les rebelles du M23, dont le financement rwandais a officiellement été reconnu par l’ONU, Kinshasa s’est abstenue de voter devant la quasi indifférence internationale face au sort des populations civiles de Goma fuyant les combattants du M23, mais aussi face à l’impunité dont jouit toujours Kigali.
La diversité des positionnements sur les questions soulevées par le conflit russo-ukrainien révèle les fractures entre l’Occident et le reste de la planète qui dénonce le tropisme ukrainien du Nord. Accusé d’être fondé sur l’identification du monde Blanc à la souffrance d’autres Blancs, il met à mal l’universalisme pourtant prôné par les pays occidentaux et les Nations unies. À terme, le traitement préférentiel reçu par l’Ukraine pourrait irrémédiablement accentuer le discrédit et la perte d’influence accusés par l’Occident.
Teria News