La Chine parraine une « Conférence pour la paix dans la Corne de l’Afrique » du 20 au 22 juin à Addis Abeba. Pékin tourne ainsi la page d’une diplomatie strictement économique sur le continent et veut désormais peser dans le destin politique de l’Afrique.
C’est un tournant historique. Potentiellement, un pas vers la fin d’un dogme diplomatique : jusqu’ici, la Chine revendiquait ne pas se mêler des affaires politiques des pays africains. En effet, dans ses relations avec le continent, Pékin a longtemps mis en avant une diplomatie économique basée sur des partenariats gagnant-gagnant et sans contrepartie politique, en opposition avec la coopération occidentale. S’il ne s’agit pas d’une rupture avec la politique de non-ingérence dans les affaires intérieures des États africains, le parrainage de cette Conférence pour la paix marque résolument un pas de côté.
La Corne de l’Afrique, pôle continental des intérêts chinois
En quelques années, Pékin a multiplié les initiatives économiques et stratégiques dans la région, la première à accueillir une base militaire chinoise (Djibouti en 2017).
Sur le plan économique, Kenya, Éthiopie et Soudan figurent parmi les pays ayant le plus bénéficié de fonds chinois, investis dans le cadre des « nouvelles routes de la Soie », soit un réseau de routes et d’infrastructures (ports, chemins de fer, barrages, autoroutes) visant à relier économiquement la Chine à l’Europe en intégrant les espaces d’Asie Centrale. Ainsi, 4,5 milliards de dollars ont été décaissés pour la construction d’une liaison ferroviaire entre l’Éthiopie et Djibouti. De plus, via ses entreprises de BTP, Pékin est également impliqué dans la construction du Grand Barrage de la Renaissance (GERD), un projet éthiopien source de vives tensions diplomatiques avec le Soudan et l’Égypte, les deux voisins d’Addis Abeba dénonçant un partage inéquitable des eaux du Nil. Par ailleurs, la Chine importe une quantité importante de pétrole du Soudan du Sud, enlisé dans une crise politique entre frères ennemis.
Annoncée en février dernier, parallèlement à la nomination de Xue Bing comme envoyé spécial pour la région, la « Conférence pour la paix dans la Corne de l’Afrique » se tiendra du 20 au 22 juin au siège de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba. Seront notamment présents, les représentants des pays de la région, le Commissaire de l’Union africaine et le Secrétaire exécutif de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), un bloc régional regroupant sept pays d’Afrique de l’Est (Djibouti, Ethiopie, Kenya, Somalie, Soudan, Soudan du Sud et Ouganda).
Sécurisation de ses intérêts économiques
Les milliards investis par la Chine dans la Corne de l’Afrique et le commerce international dont elle dépend via la mer Rouge, sont menacés par l’instabilité de la région, en proie à des crises écologiques, politiques et militaires. Parmi elles, la guerre civile éthiopienne qui oppose le gouvernement central d’Addis Abeba aux forces tigréennes, le coup d’État dans la Transition soudanaise et ses conséquences sur la paix sociale et, la menace terroriste posée par le groupe al-Shebab en Somalie et au Kenya.
Au vu de ses investissements massifs, l’engagement de la Chine dans un dialogue pacifique entre protagonistes politiques de la région apparaît comme un calcul stratégique. L’étape suivante visant à sécuriser les intérêts économiques de Pékin. D’autant que ces derniers sont tributaires des médiations occidentales, plus particulièrement celles menées par les États-Unis. La Chine vient ainsi concurrencer son grand rival géopolitique sur un terrain jusqu’ici largement occupé par l’Ouest et ce faisant, convertit son influence économique en influence politique. L’Empire du milieu se voit-il pour autant en nouveau gendarme de la planète?
Au-delà de la Corne de l’Afrique, le parrainage de cette rencontre inaugure un nouveau genre dans la politique étrangère de Pékin et amorce un basculement diplomatique. Désormais, la Chine accepte le rôle de médiateur dans les crises africaines, et pourquoi pas mondiales. Le signe que la guerre d’influence en Afrique passe à une vitesse supérieure, mais aussi, que Pékin est prêt à assumer son statut de grande puissance sur la scène globale. Reste à savoir si elle mettra également son influence au profit du règlement de la crise russo-ukrainienne.
Teria News