Pouvoir, exotisme, intrigue, magie et amour la caractérisent. Entre la vérité historique, la tradition et les mythes populaires construits autour d’elle, les frontières sont étroites. La Reine de Saba est aussi au carrefour des trois grandes religions monothéistes.
Issue d’un peuple nomade qui s’est par la suite sédentarisé, la Reine de Saba est née et a vécu dans l’État sudarabique s’étendant du Yémen contemporain au nord des territoires actuels de l’Éthiopie et de l’Érythrée. La ville de Marib qui, au premier millénaire bénéficiait d’une grande prospérité, en était la capitale. Aucune information n’a cependant pu être recueillie au sujet du lieu de naissance exact de la Reine au sein de ce royaume.
Le peuple de Saba était essentiellement commerçant et exerçait jusqu’aux confins des territoires actuels de l’Arabie, de l’Éthiopie et de la Somalie. De grandes caravanes en provenance de Saba alimentaient le commerce mondial de l’encens et des épices. De tous les récits antiques sur la Reine de Saba, ce sont surtout les livres saints et la mythologie éthiopienne qui accordent à la figure de la Reine, une place centrale.
Un personnage mythique et légendaire
« Une femme régnant sur les hommes. Elle et son peuple adorent le soleil. Et ils n’adorent point ce Dieu unique qui produit au grand jour les secrets des cieux et de la terre, qui sait ce que vous pensez et tout ce que vous faites »
La Reine de Saba est à l’origine de plusieurs récits, d’où les nombreuses appellations liées au personnage au sein de diverses cultures à travers le monde. « מלכת שבא » ou « Malkat Sheva » est la dénomination à elle attribuée par la tradition hébraïque. Au Yémen, elle est « Balqama ». En langue arabe, on la désigne plutôt par « ملكة سبأ » ou « Malika-t Saba ». « Makéda » est son nom éthiopien. En Perse, elle est la fille d’un roi étranger et d’une nymphe. « ንግሥተ ሳባ » ou « nəgəstä » est son nom en langue Ge’ez. Les légendes coptes et perses, la Kabbale chrétienne de même que le folklore ashkénaze font également référence à la Reine de Saba. Les livres saints ne seront pas du reste.
Le récit coranique diffère de celui biblique sur plusieurs points. Le Coran cite la Reine, notamment dans la sourate 27 et dans un hadîth (recueils des propos du prophète Mahomet). Elle y est appelée « Balqis ». Contrairement aux autres versions, le Coran met l’accent sur le voyage de la Reine à l’invitation du Roi Salomon, Roi d’Israël. Les émissaires envoyés en amont par ce dernier la lui présentèrent comme « Une femme régnant sur les hommes. Elle et son peuple adorent le soleil. Et ils n’adorent point ce Dieu unique qui produit au grand jour les secrets des cieux et de la terre, qui sait ce que vous pensez et tout ce que vous faites ». Ce voyage fut notamment l’occasion pour elle de se convertir. Ainsi, dans le monde médiéval musulman, elle incarne le symbole de la conversion à l’Être suprême.
Énigmatique Reine de midi et mère d’Éthiopie
Le plus ancien et célèbre nom de la Reine de Saba demeure celui biblique consigné au VIe siècle avant JC. Le Nouveau Testament et plus précisément l’Évangile selon Luc dans ses versets 11 à 31, la nomme « Reine de Midi ». La Bible Louis Segond évoque notamment le terme Reine de « Séba ». D’autres livres tels le Livre des Rois et celui des Chroniques y font également référence.
Dans la légende chrétienne, c’est chargée de nombreux et précieux présents (or, pierres précieuses et aromates) lorsque reçue, en grande pompe, par le Roi Salomon. Elle s’inclinera devant la force et la sagesse de ce dernier. Selon ces textes, il n’arrivera plus jamais en Israël une aussi grande quantité de parfums et d’épices que celle que la Reine offrit.
En outre, cette rencontre fut l’occasion pour chacun des deux souverains, non seulement d’exhiber leur puissance et leur richesse, mais également de poser de nombreuses énigmes afin d’attiser le mystère autour de leurs personnes. La version chrétienne de l’histoire met ainsi beaucoup plus l’accent sur une Reine curieuse de sonder la sagesse du Roi Salomon pour laquelle il était réputé.
En effet, dans le but d’éprouver cette sagesse, la Reine lui posa de nombreuses devinettes complexes que ce dernier résolut. Le Roi Salomon releva le défi. Comme dans le récit coranique, il lui parlera également de son Dieu unique, Yahweh. Cette dernière louera alors le Dieu de son hôte et le glorifiera pour avoir donné un tel cadeau à Israël, sans pour autant se convertir. Sous le charme, elle offrit en surplus au Roi comme présents, toute sa caravane ainsi que tous les biens que celle-ci contenait. Elle lui confia plus tard, comme l’indique le premier livre biblique des Rois, « Ta sagesse et ta prospérité surpassent tout ce que j’avais entendu dire. »
Le Kebra Nagast, document éthiopien daté du XIVe siècle, renseigne que le royaume de Saba se trouvait en Éthiopie. Conformément à la tradition éthiopienne, c’est au cours de la visite de Makeda ou Reine de Saba au Roi Salomon qu’une relation amoureuse naquit entre les deux souverains. Relation dont sera issu Ménélik Ier, l’ancêtre de l’Éthiopie et premier Roi éthiopien de la dynastie salomoniale. Le pouvoir fut conservé pendant trois millénaires par cette lignée jusqu’à la destitution de son dernier descendant, l’Empereur Hailé Sélassié en 1974.
Initiation de relations commerciales
Pour de nombreux historiens, la visite de la Reine de Saba en Israël était avant tout sous-tendue par des raisons commerciales. En amont, il s’agissait d’une rencontre visant le développement des échanges commerciaux entre les Royaumes de Saba et d’Israël. En aval, l’extension des échanges à une nouvelle ligne terrestre, était l’autre objectif de la visite, la voie de navigation ayant toujours prédominé dans leurs échanges.
Il faut rappeler que le pays de Saba était pourvu de nombreuses richesses. Des mines d’or et les aromates les plus recherchés en provenaient. Cependant, l’huile d’olive et les céréales localement produites, n’arrivaient pas à assurer les besoins de la population. En outre, les Rois de Saba, de même que les Chefs, étaient habillés en fins tissus de lin que le royaume ne produisait pas et qui devaient être importés. Or, la Palestine était justement pourvue de ces diverses ressources. Il paraissait donc utile de déterminer des tarifs bien fixés pour réguler les échanges. La visite de la Reine au Roi Salomon apparaît donc ici comme une mission menée par la souveraine pour régulariser ces transactions, en d’autres termes, pour aboutir à la conclusion d’un traité de commerce.
Quelle postérité ?
À ce jour, aucune preuve archéologique ne situe de manière définitive la vie de la Reine de Saba. Son image véhicule des messages de beauté et de richesse. Pouvoir, exotisme, intrigue, magie et amour la caractérisent également. Entre la vérité historique, la tradition et le mythe que la liesse populaire aura fait de son histoire, les frontières sont étroites. Elle pourrait bien être le résultat d’un amalgame de personnages féminins historiques, voire incarner une légende à part entière. Dans ce sens, l’on pourrait dire que la pluralité des appellations, ainsi que la notoriété accordée au personnage par tous les récits l’évoquant, sont sûrement à l’image des différentes figures qui ont pu inspirer son histoire. En outre, le succès de son mythe est dû au pouvoir exercé par les femmes au sein du royaume de Saba, déjà à cette époque.
Depuis l’antiquité, la Reine de Saba aura inspiré de nombreuses œuvres, autant artistiques que littéraires. L’élaboration de miniatures turques et perses, ainsi que la création de plusieurs tableaux comme la composition de certaines musiques européennes furent inspirées de son histoire. De plus, une riche tradition littéraire se développera autour d’elle. Flavius Josèphe, auteur juif romain du Ier siècle l’évoqua dans ses écrits. André Malraux dira d’elle qu’elle est « connue par deux sources : la Bible et le Coran. En somme, les dieux seuls ont écrit sur elle. » Par ailleurs, elle fera l’objet de plusieurs productions hollywoodiennes, dont un péplum en 1959 où les acteurs Yul Brynner et Gina Lollobrigida incarneront respectivement le Roi sage et sa compagne.
Qu’il s’agisse des récits bibliques, de l’histoire ou des légendes, on retient que l’histoire de la Reine de Saba eut un impact incommensurable sur l’imaginaire populaire.
Maggy Lynn