Poutine, un despote « irrationnel » et « paranoïaque » ? « Ils ont trouvé garçon sur leur chemin ! », disent les Africains. Sensible au désarroi du peuple Ukrainien, l’Afrique qui revendique un imaginaire décolonisé et non-aligné, rappelle toutefois à l’Occident qu’il ne peut donner de leçons à personne.
Beaucoup se sont réveillés sonnés par l’opération militaire russe en Ukraine autorisée au petit matin du jeudi 24 février par Vladimir Poutine. « Poutine n’a aucun intérêt à la guerre », entendait-on en boucle. L’erreur commise, a été de croire en une forme de pensée unique prêchée par l’Occident, autrement dit, à l’universalisation d’une version de la « raison » qui arrange les intérêts de l’Ouest. De plus, l’échec de certains observateurs à prévoir la décision du président russe trouve également son origine en un déni irénique, issu de la peur d’admettre que la vie du Vieux continent puisse être de nouveau rythmée par des bruits de botte. Ce que rappelle la guerre d’Ukraine est que la chute de l’URSS n’a pas marqué la « fin de l’Histoire », soit la victoire définitive de la démocratie libérale sur toute autre forme de régime débouchant sur une forme de « paix perpétuelle », contrairement à ce que se plaisaient à penser certains cercles universitaires et diplomatiques occidentaux. S’il faut continuer à prôner la résolution pacifique des différends et à soutenir le droit souverain des peuples à disposer d’eux-mêmes, le XXIe siècle n’est pas en dehors de l’Histoire. Celle de la lutte des nations pour leur sécurité, leur dignité et leurs intérêts.
Dans leur majorité, les Africains refusent de s’aligner sur l’indignation de l’Occident et de se soumettre aux assauts de la guerre médiatique contre la Russie engagée par des médias prisonniers de voix institutionnelles qui ont pourtant montré leurs failles par le passé. L’Afrique décline l’invitation à souscrire à la diatribe anti-Poutine, le dépeignant comme un être « irrationnel » et « paranoïaque ». Dans l’offensive psychologique menée contre le Kremlin, le continent refuse de se ranger du côté de leurs oppresseurs historiques avec lesquels les comptes ne sont toujours pas soldés. Le narratif occidental manichéen et hypocrite ne prend pas.
« Poutine est un vrai garçon ! »
Ce que le continent retient est que l’Occident a trouvé quelqu’un qui ose lui tenir tête. Revendiquant un imaginaire décolonisé et Afro-centriste, certains veulent donner une chance à Poutine qui présente sa décision de violer la souveraineté de l’Ukraine comme un acte de légitime défense face aux mensonges occidentaux, volontiers mis sous le tapis par ses relais d’opinion, comme la promesse du non-élargissement de l’OTAN, bafouée par une alliance sournoisement belliqueuse. Nombreux sont-ils à partager avec la Russie le sentiment d’avoir été et d’être aujourd’hui encore, victimes d’un narratif occidental truffé d’angles morts et par conséquent, à exprimer le besoin de construire et diffuser un contre-narratif tout aussi puissant.
C’est à l’indignation sélective de l’Occident que l’Afrique tourne le dos. Après tout, qui pour se joindre à elle pour protester contre le joug du franc CFA, l’ingérence de l’Occident quant aux choix d’alliance des pays africains, le militarisme néocolonialiste ? Ce dernier est dissimulé sous forme d’opérations antiterroristes montées, en pompiers-pyromanes, par les mêmes qui ont, depuis le renversement de Mouammar Kadhafi, déstabilisé l’ensemble Sahel et fourni armes et soutien politique aux mouvements irrédentistes sahéliens contre des États souverains. À cet égard, les références faites par Vladimir Poutine dans son allocution du 24 février, aux mensonges et manipulations qui ont précédé l’invasion de la Libye et de l’Irak trouvent un écho favorable sur le continent africain. La première a créé un foyer de terrorisme au Sahel et menace de s’étendre au golfe de Guinée, la seconde a participé à l’émergence de l’organisation Etat islamique.
En vertu d’une solidarité de peuples, les Africains sont sensibles au sort des Ukrainiens. D’autant que, dans un monde globalisé, beaucoup ont des attaches, sinon en Europe de l’Est, le plus souvent en Europe de l’Ouest, première concernée par un éventuel débordement du conflit hors des frontières ukrainiennes. De plus, la violation de la souveraineté d’un peuple ne peut laisser indifférentes des populations qui elles aussi, luttent pour leur autodétermination et pour l’évolution de souverainetés de papier, acquises à travers des indépendances piégées, en souverainetés effectives. Toutefois, l’Afrique se dérobe à la logique d’un ordre international qui la broie et la maintient au rang d’objet. Construit pour les plus forts, ce système est perçu comme la cristallisation légale de la force des puissants dans leur volonté de légitimer et de perpétuer leur statut de dominants.
Teria News