L’Ukraine a annoncé la création d’un pacte de sécurité trilatéral avec la Pologne et le Royaume-Uni. S’entourer d’un allié régional et d’une puissance nucléaire sera-t-il suffisant pour dissuader la Russie ?
Devant l’impossibilité de rejoindre l’Organisation du Traité d’Atlantique Nord (OTAN) dans un contexte de crise avec Moscou, Kiev a opté pour la stratégie de contournement. Ainsi, l’Ukraine a annoncé préparer un pacte de sécurité trilatéral avec la Pologne et le Royaume-Uni.
« J’espère que dans un futur proche, nous serons en mesure de lancer un nouveau format de coopération régionale entre l’Ukraine, la Pologne et le Royaume-Uni, dans le contexte de l’agression russe »
Premier ministre ukrainien, Denis Chmigal
Un mini OTAN à l’Est de l’Europe
En s’entourant d’une puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et d’un allié régional, tous deux membres de l’OTAN, Kiev met un pied à l’Ouest, fait un pas de plus vers l’OTAN et se protège contre une possible attaque russe.
Voisin partageant une de ses frontières occidentales, la Pologne s’est émancipée de Moscou depuis 1999, date à laquelle Varsovie a rejoint l’alliance atlantique. Malgré cette adhésion, la Pologne, hantée par les fantômes de son passé houleux avec la Russie, partage avec l’Ukraine une défiance vis-à-vis de Moscou. Allié historique des États-Unis, le Royaume-Uni joue ici le rôle de représentant de Washington à l’Est de l’Europe. L’Amérique a d’autant plus besoin de Londres que la position de l’Union européenne, dont la France assure la présidence tournante, reste tempérée comparée à la surenchère américaine. En effet, alors que son ministre des Affaires étrangères parle de l’imminence d’une intervention russe pour laquelle il estime « toutes les conditions réunies », Emmanuel Macron se dit prêt à se rendre en Russie pour un face-à-face avec son homologue russe. Sorti de l’Union européenne, le Royaume-Uni dont la loyauté a toujours penché de l’autre côté de l’Atlantique, est l’allié le plus sûr des États-Unis en Europe et le mieux placé pour défendre et appuyer sa posture offensive à l’égard de la Russie. Ainsi, après le pacte Indo-Pacifique AUKUS dont la France a été écartée, cette crise ukrainienne renforce davantage l’axe anglosaxon en matière de défense.
Reste à connaitre les statuts de cette nouvelle alliance tripartite, principalement à savoir si le pacte comprendra un mécanisme équivalent à l’article 5 de l’OTAN, déclenchant alors une réponse militaire automatique des alliés dès que l’un d’entre eux est agressé. De plus, le pacte sera-t-il signé avant une éventuelle agression russe ?
Résurrection de l’OTAN
Menacée par les vagues d’élargissement de l’OTAN à l’Est de l’Europe, la Russie estime que les États-Unis ont trahi leur promesse de non-expansion faite à Moscou au sortir de la Guerre froide. Le Kremlin reproche également à l’Ouest le maintien de l’OTAN alors que la Russie a elle dissout le pacte de Varsovie.
Au-delà de revêtir un caractère irrédentiste justifié, selon le logiciel de Vladimir Poutine, par les similarités ethniques, linguistiques et historiques que partagent russes et ukrainiens, en particulier les populations de l’Est de l’Ukraine, cette crise est également le produit de l’arrogance de l’Occident, laquelle n’a cessé d’humilier la Russie après la chute du mur de Berlin.
Paradoxalement, malgré sa guerre d’influence contre l’Occident, c’est encore Vladimir Poutine qui crée les conditions de la résurrection de l’OTAN, en « état de mort cérébrale » selon Emmanuel Macron. En effet, l’organisation qui, en plus d’une crise de financement et de confiance entre États membres (notamment entre européens et américains dans le dossier syrien), se cherchait une raison d’être, a retrouvé son objectif premier : protéger l’Europe de la Russie. Redevenue pertinente dans un début de XXIe siècle marqué par la rivalité sino-américaine, l’OTAN est sortie de son coma.
En attendant, l’escalade se poursuit avec l’approbation par Joe Biden du déploiement de troupes supplémentaires en Europe de l’Est « dans les prochains jours ». Annoncé mercredi, l’envoi de 2 000 soldats américains en Pologne et de plusieurs autres milliers dans les pays membres de l’OTAN, dont la Roumanie, pourrait marquer un basculement. L’arrivée ce jeudi à Kiev du président turc Recep Tayyip Erdoğan, dont le pays représente le flanc oriental de OTAN, reste un mince espoir.
Quelle que soit l’issue de cette crise, l’Histoire retiendra que l’Ukraine ne serait pas aussi exposée si elle avait gardé ses armes nucléaires. En effet, le mémorandum de Budapest (1994), conclu entre la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Ukraine, dont la France et la Chine sont les garants comme « témoins », encadrait la dénucléarisation de l’Ukraine, qui hébergeait un arsenal de 1800 têtes nucléaires, contre la garantie expresse de ses frontières par la Russie.
Teria News