L’Éthiopie lui doit de ne jamais avoir été colonisée. L’Impératrice Taytu Betul fut une des femmes les plus puissantes du XVIIIe siècle. Stratège militaire, animal politique redoutable, voici la femme qui s’érigea entre l’empire éthiopien et l’envahisseur italien.
Impératrice d’Éthiopie de 1889 à 1913 et de noble famille, Walatta Mikael de son vrai nom, est originaire du nord de l’empire. Elle reçut une éducation traditionnelle orthodoxe stricte mais eut à l’opposé, une vie sentimentale mouvementée à travers ses nombreux mariages lesquels se solderont par son union, en avril 1883, avec Sahle Myriam, roi du Shoa, province historique située au centre de l’empire. Sahle Myriam fut si épris d’elle qu’il accepta d’inclure à l’acte de mariage, une clause interdisant le divorce. Taytu Betul fut donc la seule des épouses d’un empereur, connu pour se lasser rapidement de ses compagnes, à rester à ses côtés jusqu’à la fin de son règne.
Tout aussi ambitieux qu’elle, Sahle Myriam souhaitait obtenir un ancrage au nord du pays. En effet, par cette union, il parvint en 1889 à devenir « Roi des Rois », c’est à dire Empereur d’Éthiopie sous le nom Ménélik II. Ce sacre fit de l’Impératrice une des femmes les plus influentes de son époque.
Il faut dire que cette fin de siècle fut marquée par la colonisation tous azimuts de l’Afrique. Par sa position géographique stratégique, l’Éthiopie, située dans la corne de l’Afrique, était donc particulièrement convoitée par les candidats à l’expansion coloniale. Ces ambitions se heurteront cependant à la réticence et à la fermeté de Taytu Betul qui s’y opposa, allant jusqu’à affirmer qu’elle ne pouvait pas supporter leurs odeurs.
Redoutable stratège et esprit brillant
Tout en restant méfiante, la stratège Taytu Betul ne s’empêchait cependant pas d’inviter les colons à la cour et aux diverses célébrations qui rythmaient la vie de l’empire. « Le seul avantage que je leur trouve, est la situation des femmes en Europe », affirmait-elle. Paul Merab, un médecin proche du couple impérial déclara que « l’Impératrice est fort intelligente… Les questions internationales l’intéressent au plus haut point. Elle a une vision intuitive et nette de la réalité des choses ». En effet, choses peu fréquentes pour une femme à cette époque, l’Impératrice étudia la politique, les affaires étrangères et la diplomatie, autant de matières qui la doteront d’une remarquable culture.
Sa grande instruction lui donna des clés pour s’impliquer dans la régence de son époux. À la cour, elle ne jouissait dans un premier temps d’aucune responsabilité particulière, mais avait, dans les faits, une grande influence sur son mari et auprès des autres dignitaires malgré les réticences de certains. Elle aidait également son époux en déjouant les stratagèmes de ses rivaux, tant et si bien que Ménélik II lui accorda le titre de Co-régente.
Taytu Betul déjoue le plan rusé des italiens
Tout au long de son règne, sa finesse diplomatique fera d’elle une véritable embûche au dessein du colon italien. Elle réussit même finalement à convaincre Ménélik II qui, au départ penchait plutôt pour la recherche d’un consensus face au colonialisme européen, de combattre les italiens. Conseillère écoutée de son mari, elle fit ainsi détourner une série de légations des puissances étrangères concédées par l’Empereur qui risquaient de morceler le territoire et d’enlever toute souveraineté au royaume.
En 1893, l’Impératrice sera à l’origine de la remise en question du Traité de Wuchale signé par Ménélik II quatre années auparavant. Grâce à Taytu Betul, ce dernier se rendit compte que ledit traité comportait des incohérences entre la version italienne et sa copie amharique. La première en effet, reléguait l’Éthiopie à un statut de Protectorat. Une supercherie. « Vous voudriez faire passer l’Éthiopie pour votre Protectorat mais il n’en sera jamais ainsi ! », écrivit-elle à l’Ambassadeur d’Italie en 1890. Le Traité fut alors abrogé et provoqua la guerre entre l’Éthiopie et l’Italie.
À la célèbre bataille décisive d’Adoua dans la région du Tigray en 1896, sa présence sera très utile. Bien qu’elle ne fut pas au front, elle formata le plan stratégique à déployer. Sur ses conseils, près de 100.000 soldats furent envoyés au combat, dont des femmes ce qui, en plus de grossir les troupes éthiopiennes, eut l’avantage de perturber l’adversaire. Taytu Betul coupa également l’arrivée d’eau des tranchées italiennes pour forcer l’ennemi à en sortir et à s’exposer aux combattants éthiopiens. Les Italiens furent écrasés et les Européens en général, renvoyés du territoire. La presse internationale couvrit l’événement : un État africain peut battre une armée occidentale. Aux yeux de ces derniers, cette défaite conféra incontestablement une légitimité à l’Éthiopie qui devint le premier État africain moderne exempté du « devoir de colonisation ».
Taytu Betul fonde Addis-Abeba
Par ailleurs, l’Impératrice fut à l’origine de nombreuses actions marquant la modernisation de la vie politique et sociale dont, la création de la capitale politique et économique actuelle : Addis-Abeba, « Nouvelle fleur » en Amharique. Elle y développa le théâtre, pour elle, représentation de son pouvoir politique et y fit construire le premier hôtel d’Éthiopie.
Après la mort de son époux le 12 décembre 1923 à la suite d’une maladie grave, peu appréciée des rivaux de ce dernier et par une partie du peuple qui l’accuse d’être une femme obstinée et assoiffée de pouvoir, elle en sera écartée contre son gré. En mars 1910, son petit-fils Iyassou, converti à l’islam devint Roi mais pour peu de temps, la noblesse et l’église ne supportant pas qu’un musulman dirige le pays. Zewditou, fille que Ménélik II conçu avec une autre compagne, devint Reine au grand chagrin de l’Impératrice. « Ils ont couronné une femme et ce n’est pas moi. Ce n’est pas moi ! », se lamenta-t-elle. On interprète cette réaction comme la confirmation qu’elle nouait véritablement des ambitions de Reine des rois.
La nouvelle Reine invita Taytu Betul à se joindre à elle au palais. Manifestant un refus, cette dernière se réfugia à Gondar, sa région d’origine où elle mourut trois mois plus tard, le 11 février 1918. Aujourd’hui, les communautés internationale et africaine célèbrent son combat.
À l’échelle mondiale, elle fait office d’un personnage dur et intransigeant de caractère. On lui reconnaît le mérite d’avoir pu s’imposer dans un milieu politique jusque-là exclusivement masculin. De nombreuses expressions lui sont consacrées en langue italienne, figurant jusque dans les livres pour enfants comme : « Pour qui elle se prend, la Reine Taytu ? », « Elle est comme la princesse Taytu. », décrivant le caractère d’une femme jugée autoritaire envers son époux. Sa figure est très ancrée dans la mémoire collective italienne.
Il est toutefois utile de préciser qu’à sa mort, à cause d’une influence pas toujours bien accueillie par le peuple, le combat de Taytu Betul fut mal compris dans un premier temps. En effet, l’histoire la décrit comme une Impératrice autoritaire et xénophobe. Une lecture qui va évoluer à travers le temps, grâce notamment aux travaux de l’historien américain Chris Proutty pour qui, c’est plutôt la force de caractère de la Reine qui permit à l’Éthiopie de l’emporter à la bataille d’Adoua et ainsi, de pouvoir intégrer la Société des Nations dans l’entre-deux-guerres. De nombreux mouvements anti-impérialistes vont naître suite à la victoire éthiopienne. Aux États-Unis, cette victoire sera notamment célébrée par le mouvement Harlem Renaissance.
Sur le continent, depuis le 25 Mai 1963, Addis-abeba, fondée par Taytu Betul, abrite le siège de l’Union africaine, symbole du panafricanisme et du rassemblement de peuples frères dont la cohésion, dissoute par l’oppression, essaie tant bien que mal de se rétablir.
Maggy Lynn