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Lundi 13 avril, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé le versement d’une aide d’urgence à 25 pays, dont 19 africains pour leur permettre d’alléger leur dette et de mieux faire face à la pandémie de Covid-19. De l’argent vraiment « gratuit »?

Le mécanisme permettrait aux pays bénéficiaires de couvrir pour six mois les remboursements de la dette envers le FMI et « d’allouer une plus grande partie de leurs ressources à leurs efforts en matière d’urgence médicale et d’aide », affirme un communiqué du FMI.

Cet effort financier a pour canal le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes (ARC), qui permettrait au FMI d’accorder un allègement de dette sous forme de dons aux pays les plus pauvres et les plus vulnérables frappés par une catastrophe naturelle ou de santé publique. L’institution précise que le Fonds fiduciaire a actuellement « une capacité de 500 millions de dollars de ressources immédiatement disponibles, y compris les 185 millions de dollars promis récemment par le Royaume-Uni et les 100 millions de dollars fournis par le Japon ». « La Chine et les Pays-Bas se sont aussi engagés sur d’importantes contributions. J’encourage d’autres donateurs à nous aider à renflouer le fonds et à augmenter notre capacité à fournir un allègement supplémentaire de la dette pour deux années pleines aux membres les plus pauvres du FMI », a ajouté Kristalina Georgieva, Directrice générale du FMI.

Les pays bénéficiaires de l’allègement du service de leur dette sont les suivants : Afghanistan, Bénin, Burkina Faso, Comores, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Haïti, Îles Salomon, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mozambique, Népal, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sierra Leone, Tadjikistan, Tchad, Togo et Yémen.

Dans son discours télévisé du lundi 13 avril, Emmanuel Macron a appelé à annuler la dette de l’Afrique. La France et l’Europe vont devoir « aider » l’Afrique en « annulant massivement » sa dette » a déclaré le président français. Ce plaidoyer fait suite à celui du président sénégalais Macky Sall, qui, la semaine dernière, avait lancé « l’Appel de Dakar pour une stratégie d’annulation de la dette des pays africains, assortie d’un Plan de rééchelonnement de la dette commerciale qui permettra à l’Afrique, dans le cadre du nouvel ordre économique mondial, d’avoir un nouveau départ ». La France n’est pas seule à demander une annulation de la dette de l’Afrique. La rhétorique est partagée par des acteurs comme la Banque mondiale (BM), le FMI, l’ONU, ou encore le pape François. La sortie d’Emmanuel Macron semble contredire la déclaration de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en date du 8 avril, qui avançait l’octroi d’une « aide » à l’Afrique de 1,2 milliard d’euros, constituée notamment d' »un milliard d’euros sous forme de prêts ».

« Entre 2008 et 2018, la dette publique moyenne des pays africains est passée de 38% à 56% du Produit intérieur brut (PIB) du continent », pour s’établir à 365 milliards de dollars selon la Banque africaine de développement (BAD) dans ses perspectives 2020 sur l’économie africaine. La Chine est le premier bailleur de fonds de l’Afrique, la dette du continent vis-à-vis de Pékin s’élevant à 145 milliards de dollars. Elle représenterait près de 40% de son endettement. De plus, pour rendre compte de la réalité, ces chiffres doivent englober la dette privée (détenue par le secteur privé).

Moratoire, rééchelonnement, allègement ou annulation… les formes que pourraient prendre ce remaniement de la dette africaine ne sont pas encore définies. La France serait-elle le porte-voix, l’ambassadrice de l’Afrique auprès de ses créanciers? Et cet apport du FMI s’entend-il selon le sens le plus commun d’un don? C’est à dire comme l’action d’abandonner gratuitement à quelqu’un la propriété ou la jouissance de quelque chose? Ou sera-t-il assorti de conditions nébuleuses, et d’un droit d’ingérence des bailleurs de fonds dans les affaires des États bénéficiaires?

En la matière comme dans de nombreux domaines, la meilleure boule de cristal est le passé.

Deux exemples peuvent servir de référence. Premièrement, les politiques d’austérité nées de la crise de la dette des pays en voie de développement. Déclenchée en 1982 par l’incapacité de plusieurs de ces États à rembourser leurs emprunts, elle a tout particulièrement touché les pays pétroliers, qui profitant d’une hausse des cours du pétrole, s’étaient endettés au cours des années précédentes. Le sauvetage des économies naufragées dépendait en partie de leur soumission à des programmes d’ajustement structurels (PAS). Imposés par les institutions de Bretton Woods, ils préconisaient une réduction draconienne des dépenses publiques, et ont par conséquent eu un coût social désastreux. La BM a par la suite reconnu son erreur, mais ses détracteurs, mettant en doute l’effectivité d’un changement de paradigme, ont dénoncé des larmes de crocodile.

Deuxièmement, les mécanismes de conversion des créances de dette en programmes de développement. Les fonds alloués sont conditionnés à l’octroi exclusif de marchés publics aux entreprises du pays créancier. Un des produits les plus aboutis de ces mécanismes sont les contrats de désendettement et de développement (C2D) mis en place par la France. Ainsi, pour certains pays atteignant le « point d’achèvement » prévu dans l’initiative pays pauvres très endettés, Paris a choisi pour une partie de ses créances bilatérales d’exiger leur remboursement et non de les annuler. En contrepartie, l’Hexagone s’est engagé à reverser des « dons » équivalents au fur et à mesure. À chaque échéance, la France verse la somme sur un compte spécialement créé à la Banque centrale du pays (ou de la zone monétaire). Ses opérations sont gérées par le gouvernement bénéficiaire et l’Agence française de développement. Mais l’État n’est pas libre d’en disposer comme il le souhaite. En effet, les montants servent à financer des projets d’investissements ou de l’aide budgétaire. Pis, les instances officielles de pilotage associent des représentants des deux États et de l’AFD, et parfois des entreprises et des organisations de la société civile. Les dernières étant habilement intégrées pour servir de caution morale. La France a ainsi mis sur pied un mécanisme d’ingérence dans les politiques publiques des pays bénéficiaires des C2D, et garanti à ses entreprises nationales de juteux marchés publics. Les enveloppes les plus larges ont été celles du Cameroun (1.47 milliards d’euros) et de la Côte d’Ivoire, après l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara (2.9 milliards d’euros).

Ces deux exemples appellent les populations à la vigilance concernant l’allègement de la dette extérieure des pays du Sud, dont les États africains. Hormis la Chine, les partenaires de l’Afrique se sont toujours montrés calculateurs dans les pseudos initiatives d’allègement de la dette du continent. À l’heure où leurs économies traversent un choc inédit, de tels mécanismes ne peuvent être présentés comme altruistes. Pour le bien des populations, les revers de cette rhétorique, qui constituent leurs véritables ressorts, doivent être systématiquement dévoilés.

Teria News

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