Le coup de tonnerre a retenti mercredi soir. Vital Kamerhe s’est rendu au bureau du procureur du parquet général de Matete, Kinshasa, qui souhaitait l’entendre dans le cadre de l’enquête sur les fonds affectés au programme d’urgence des 100 jours de Félix Tshisekedi.
Quelques heures plus tard, le désigné successeur du chef d’Etat congolais, a été placé en détention provisoire. Après cinq heures d’audition, Vital Kamerhe, directeur de cabinet, a été transféré à la prison de Makala.
Est-ce la première victime judiciaire du camp Tshisekedi? Ou un sacrifice nécessaire pour redorer le blason du chef? Assiste-t-on à la glorieuse marche de la justice soudainement devenue aveugle, ou à celle de la politique?
Il se murmurait, en particulier du côté de la société civile congolaise que plusieurs proches du chef de l’État s’étaient rendus coupables de détournements de deniers publics. Alors qu’il avait fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, la gouvernance Tshisekedi ne trancherait pas radicalement avec celle de son prédécesseur. Ce, pour le peu qu’elle soit en mesure de revendiquer, le Front commun pour le Congo (FCC), coalition dirigée par l’ancien président Joseph Kabila, confisquant une large part du pouvoir.
D’aucuns s’interrogent : la coalition formée en novembre 2018 après l’accord de Nairobi entre Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, en vertu duquel Vital Kamerhe s’est engagé à se désister au profit de Félix Tshisekedi, lequel, en cas de victoire, lui assure en retour le poste de Premier ministre, est-elle menacée ? Ce « ticket gagnant », faut-il le rappeler, était le socle de la plateforme « Cap pour le changement » (CACH), et scellait l’alliance entre l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et l’Union pour la nation congolaise (UNC). La lettre de l’accord de Nairobi prévoit par ailleurs qu’après 5 ans, Felix Tshisekedi cède son fauteuil à son allié.
Vital Kamerhe est notamment soupçonné d’avoir surfacturé la livraison de logements sociaux préfabriqués. Sous présidence Joseph Kabila, le prix de 900 logements s’élevait à 26 millions de dollars, et leur construction avait été confiée à la société Samibo Congo Sarl, appartenant au Libanais Jammal Samih. Le régime Tshisekedi, avait lui décidé de commander 600 logements supplémentaires pour un montant d’environ 57 millions de dollars à la même entreprise. Ce qui est certain c’est que « le Caméléon », tel qu’il est surnommé, président de l’Assemblée nationale entre 2006 et 2009 et candidat à la présidentielle de 2011, a mis au service de la coalition CACH son expérience et son influence au sein du bassin du Kivu. Le deal entre le dernier et Joseph Kabila a entravé les plans de Nairobi. De plus, avec la majorité des sièges à l’assemblée, l’ancien président était en position d’écarter le « traître » pour imposer un premier ministre plus consensuel. Vital Kamerhe s’est ainsi vu octroyer le poste de directeur de cabinet de la présidence. Lui a été dévolue la tache de diriger le programme des cent jours de Felix Tshisekedi. Plan ambitieux, dont l’objectif était la réalisation accélérée des grands travaux prioritaires du quinquennat. La société civile commence dès lors à dénoncer des marchés cédés sans appels d’offre et des surfacturations, soupçonnées de dissimuler des rétro-commissions. « Les réalisations du programme des cent jours ne correspondaient pas aux montants décaissés à l’époque », accuse Jean-Jacques Lumumba, président de l’association anticorruption Unis.
Ce dernier épisode de la chronique judiciaire de Kinshasa est un quitte ou double pour Felix Tshisekedi. Il en sortira soit grandi, débarrassé d’un allié de plus en plus difficile à assumer, comme d’un successeur potentiellement renié, soit affaibli, éclaboussé par l’encre noire de la corruption.
Jeudi, le premier président de la Cour de cassation a renvoyé « toutes les affaires en instruction après la fin de l’état d’urgence sanitaire », pour cause de coronavirus. En conséquence, la détention provisoire de Vital Kamerhe pourrait se prolonger.
Teria News