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Le Conseil souverain de transition du Soudan s’apprête à remettre à la Cour pénale internationale (CPI), 4 personnes accusées de génocide et de crimes de guerre durant le conflit au Darfour

Omar el-Béchir est-il en voie d’être sacrifié sur l’autel de la réhabilitation internationale du Soudan?

L’annonce a été faite mardi 11 février par un haut responsable soudanais. Les transfèrements pourraient concerner Omar el-Béchir, 76 ans, recherché depuis 2009 pour crimes contre l’humanité (meurtre, extermination, torture, viol), crimes de guerre (pillage, attaques contre des populations civiles), et trois chefs d’accusation de génocide à l’encontre des ethnies Four, Masalit et Zaghawa, dans le contexte du conflit du Darfour, région de l’Ouest du Soudan, qui a fait plus de 300 000 morts en 2003. Omar el-Béchir est le premier président en exercice à avoir fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI.

La déclaration est intervenue après des négociations dans la capitale du Sud-Soudan voisin entre une délégation du gouvernement soudanais et des groupes rebelles du Darfour. Elle marque la volonté du Conseil souverain de transition, aux commandes du pays depuis août 2019, d’amorcer un processus visant à extraire le Soudan de la catégorie des États rebelles, frondeurs de la scène internationale.

Le lâchage d’Omar el-Béchir par les nouvelles autorités de Khartoum a été progressif. Destitué par l’armée en avril 2019 sous la pression de la rue après 30 ans au pouvoir, il a été jugé par un « tribunal spécial » à partir d’août 2019 pour « possession de devises étrangères, corruption et réception illégale de présents », et condamné le 14 décembre 2019 à deux ans de « résidence surveillée ». L’alors Conseil militaire de transition avait d’abord assuré qu’Omar el-Béchir ne serait pas « livré à l’étranger », avant d’indiquer que la décision serait «prise par un gouvernement populaire élu et non par le Conseil militaire ». La réticence des militaires à transférer l’ancien homme fort à la CPI avait été interprétée comme une volonté de se mettre à l’abri, nombre d’entre eux devant répondre des mêmes crimes que ceux pour lesquels leur ancien chef est recherché par la justice internationale. Parmi eux figure en bonne place le numéro deux du Conseil souverain, Mohamed Hamdan Dogolo alias Hemeti, ancien commandant des milices arabes janjawid, épinglées pour leurs crimes dans le conflit au Darfour. Hemeti fut ensuite le chef d’unités régulières paramilitaires, à savoir la Brigade du renseignement aux frontières et les Forces de soutien rapide. S’il a consenti à ce qu’Omar el-Béchir soit transféré à la CPI, lui comme d’autres doivent avoir fermement négocié leur tranquillité.

Khartoum multiplie les revirements. Autre signe de son changement de cap: la « normalisation » de ses relations avec Israël. Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le président du Conseil souverain soudanais, Abdel Fattah al-Burhane, ont cherché à conclure un rapprochement entamé discrètement depuis plusieurs années. Le Soudan, membre de la Ligue arabe, a entretenu des liens avec le Hamas et l’Iran avant qu’Omar el-Béchir ne prenne ses distances avec Téhéran en 2016. Avec cette nouvelle orientation politique, Khartoum rompt avec le soutien traditionnel au peuple palestinien et tente de s’arrimer à un autre axe: l’axe occidental. Dans cette manœuvre, l’État hébreu n’est que tremplin vers les États-Unis, véritable maître du jeu. En effet, en 2017, Washington avait levé une partie des sanctions frappant le Soudan, tout en le maintenant sur la liste des pays soutenant le terrorisme. Khartoum désirant être retiré de cette liste pour attirer les investisseurs, cède à la pression économique et internationale en donnant des gages de bonne conduite.

Rappelons que c’est le triplement du prix du pain en décembre 2018 qui avait enclenché une série de manifestations, lesquelles, couplées à l’abandon de l’armée, avait provoqué la chute d’Omar el-Béchir. Affamés, les soudanais ont bravé les foudres d’un régime connu pour sa brutalité. Le Conseil souverain de transition se sait en sursis. Sans amélioration économique, sa longévité à la tête du Soudan pourrait être compromise. Dos au mûr, Khartoum doit attirer coûte que coûte des investissement, même si cela doit passer par le reniement d’alliances historiques.

Les efforts du Conseil souverain semblent porter des fruits. Lundi 3 février, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a “remercié” par téléphone Abdel Fattah al-Burhane pour son rôle dans cette “normalisation des liens” avec Israël et l’a invité à Washington pour la première fois en trois décennies.

Le Soudan post Omar el-Béchir s’échine à sortir de la catégorie des États parias, créée par les États-Unis et ses alliés pour marginaliser les États qui ne s’alignent pas sur sa politique étrangère. La CPI est accusée d’être une juridiction politique où sont livrés des opposants (Jean-Pierre Bemba pour la République démocratique du Congo, Laurent Gbagbo pour la Côte d’Ivoire entre autres). Aujourd’hui, de façon plus subtile dans le cas d’espèce, l’institution est utilisée à d’autres fins. Elle permet de faire d’Omar el-Béchir une monnaie d’échange pour réhabiliter le Soudan aux yeux de la communauté internationale.

Teria News

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