Chronique d’un dépouillement annoncé des musées français?
En décembre 2018 Bénédicte Savoy et Felwine Sarr rendaient leur rapport sur la « restitution du patrimoine culturel africain ». Le document aux recommandations aussi audacieuses qu’impopulaires dans le monde des professionnels de l’art était une commande du président français Emmanuel Macron. Ce dernier répondait ainsi à la demande formulée dès son élection en 2016 par le président béninois Patrice Talon, du retour au Bénin des œuvres spoliées pendant la colonisation, et faisait suite à l’engagement pris le 28 novembre 2017 à Ouagadougou de restituer à l’Afrique son patrimoine. À la réception du rapport, Emmanuel Macron annonçait la restitution de 26 œuvres au Bénin, captures du général Dodds en 1892. Une initiative comparable à « la chute du mûr de Berlin » selon Bénédicte Savoy. Marquant l’anniversaire du rapport Savoy-Sarr, la visite le 15 décembre à Cotonou du ministre français de la culture Franck Riester est venue rappeler la bonne volonté affichée par la France. La restitution par l’Hexagone au Bénin de 26 œuvres d’art se fera « dans le courant de l’année 2020, peut-être au début de l’année 2021 » a indiqué le ministre.
Les experts estiment qu’à ce jour 85 à 90% du patrimoine africain se situe hors du continent. En France, il est versé dans des collections publiques et privées. 90 000 pièces au total dont 70 000 au seul musée Quai Branly – Jacques Chirac. Le rapport Savoy-Sarr a provoqué une levée de boucliers en France, où certains ont parlé de démagogie et mis en doute la capacité des Etats africains à conserver ce patrimoine, s’il leur était retourné. Le rapport recommande que tout objet qui aurait été emporté sans le consentement des propriétaires ou gardiens des œuvres, soit restitué aux pays africains qui en feront la demande. Sont concernés butins, pillages de guerre ou encore collecte des ethnologues, avec une considération particulière apportée à la notion de consentement même en cas de dons, le consentement pouvant être considéré comme vicié dans un rapport de dominant à dominé… De quoi élonguer la liste des objets visés, au grand dam des cercles français de professionnels et d’amateurs. Le rapport appelle également à une réforme du code du patrimoine qui défend l’inaliénabilité du patrimoine français, et au recours à des mécanismes pour contourner ce code, tels que des prêts renouvelables. Une dérogation au code du patrimoine pourrait impliquer le vote d’une loi d’exception, mentionnée par Franck Riester, qui a précisé au cours de son séjour à Cotonou que la restitution des 26 œuvres au Bénin se fera soit à travers une « remise », soit directement par un transfert de propriété « si la loi française est votée d’ici là ».
Principal concerné, le musée Quai Branly-Jacques Chirac a à lui seul drainé plus de 13 millions de visiteurs depuis son ouverture en 2006. Le billet d’entrée à tarif réduit étant fixé à 7 euros, le musée a engrangé plus de 721 millions d’euros de recettes. Une véritable manne financière, à laquelle, sans compter les réservations d’hôtels et la fréquentation de restaurants qui nourrissent l’économie du tourisme français, la France renoncerait en ouvrant les vannes du précédent béninois. De plus, ces œuvres participent du rayonnement de la France, pays notoirement jaloux de sa politique culturelle. Ces considérations financières et identitaires entrent en collision directe avec la bonne volonté de l’exécutif français.
L’engagement de Ouagadougou s’inscrit dans un discours affichant une rupture avec la politique française en Afrique, et l’inauguration d’une nouvelle ère des relations entre Paris et les chancelleries du continent. En perte de vitesse suite aux révélations des facettes de l’hydre de la FrançAfrique, la France a besoin de travailler son image auprès des opinions publiques africaines, et plus particulièrement auprès de la jeunesse. Poussée dans ses derniers retranchements, serait-elle en train d’accepter de perdre pour gagner? Notons que dans ce dossier, Paris s’est montrée particulièrement proactive.
Bénédicte Savoy, professeur au Collège de France et Felwine Sarr, économiste sénégalais sont des universitaires engagés politiquement, dont l’orientation du rapport ne pouvait réellement surprendre. Ont-ils été choisis précisément pour cette raison? N’étaient-ils que la caution scientifique qu’Emmanuel Macron souhaitait donner à sa démarche?
Par ailleurs, même en cas d’échec de la réforme du code du patrimoine, le président français pourra en rejeter le blâme sur des lourdeurs juridiques, faire valoir sa bonne volonté. La France n’en sortirait que grandie.
Wuldath MAMA