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Manifestations en RDC : pourquoi la colère des Congolais contre l’Occident est justifiée

La colère des Congolais contre l’Occident ne retombe pas. Malgré les rapports des Nations unies, de plusieurs ONG et la récente déclaration des États-Unis condamnant le soutien du Rwanda au M23, Kigali reste un partenaire privilégié de l’Ouest. Les manifestants dénoncent le « deux poids, deux mesures » et l’hypocrisie des occidentaux devant le peu de mesures concrètes prises contre le Rwanda et pour soutenir la riposte congolaise.

Depuis début février, la capitale de la République démocratique du Congo, Kinshasa, est secouée par des manifestations dirigées contre les ambassades occidentales. Plusieurs manifestations ont eu lieu devant les ambassades britannique et française, ainsi que devant les bâtiments des Nations Unies. Dans toute la ville, des drapeaux américains et belges ont été brûlés. Les manifestants dénoncent ce qu’ils considèrent comme une complicité occidentale dans la guerre qui sévit à l’est de la RDC. Ces manifestations ont été déclenchées par la nouvelle avancée du mouvement rebelle M23.

Le M23 est dirigé par des Tutsis congolais et constitue le dernier né de l’histoire des groupes rebelles congolais soutenus par le Rwanda. Il a émergé en avril 2012, a pris le contrôle de la ville orientale de Goma en novembre 2012 et a été vaincu en 2013. Fin 2021, le groupe a réapparu, alimenté par des tensions géopolitiques de longue date entre la RDC et le Rwanda. Depuis, il a pris le contrôle de grandes parties du territoire. Le mouvement contrôle désormais l’accès à Goma. La ville d’environ 2 millions d’habitants revêt une importance symbolique et stratégique en tant que plus grande ville de la province du nord du Kivu, frontalière du Rwanda. Le groupe rebelle a désormais effectivement encerclé la ville, lui permettant de couper les approvisionnements ou de conquérir la ville. La possibilité que cela se produise, comme cela fut le cas en 2012, a conduit à une panique généralisée et à davantage de déplacements.

Tout d’abord, il est frappant de constater à quel point la communauté internationale reste silencieuse à l’égard du Rwanda. Plusieurs rapports récents des Nations Unies ont largement documenté le soutien militaire direct du Rwanda à la rébellion du M23, soutien que Kigali nie. Un certain nombre de pays, comme la Belgique et la France, ont appelé le Rwanda à mettre fin à son implication. Plus récemment, le 17 février, les États-Unis ont publié une déclaration ferme condamnant le soutien du Rwanda au M23. Pourtant, peu de mesures concrètes ont été prises : le Rwanda reste un chouchou des donateurs occidentaux.

Deuxièmement, les manifestations actuelles témoignent du manque d’attention mondiale portée à la crise congolaise. La comparaison avec l’Ukraine et Israël/Palestine est fréquemment faite dans le pays : où est l’attention portée à la crise congolaise ? Pour Félix Tshisekedi, qui a récemment entamé un second mandat à la tête de la RDC, les manifestations sont opportunes. Elles permettent au gouvernement de rejeter la faute sur les pays occidentaux. Cela fait suite à cinq années de progrès, au mieux limités, dans la résolution de la crise dans l’est du pays.

Echec de la gouvernance sécuritaire de Félix Tshisekedi

Le gouvernement congolais n’a pas réussi à résoudre la crise armée dans l’est du pays. La région continue d’être en proie à divers groupes armés, notamment la rébellion du M23.

Depuis la Seconde Guerre du Congo (1998-2003), le conflit n’a cessé de couver dans l’est du Congo, motivé par des intérêts et des griefs aux niveaux local, national et régional. Cela a donné naissance à une multitude de groupes armés, estimés à plus d’une centaine à l’heure actuelle. L’accès aux ressources naturelles, abondantes dans l’est du Congo, est l’un des facteurs de conflit, mais pas nécessairement le plus important. Au niveau régional, les pays voisins comme l’Ouganda et le Rwanda ont continué à protéger leurs intérêts économiques, politiques et sécuritaires dans l’est du Congo.

Lorsque Tshisekedi a accédé au pouvoir en 2019, il a pris des mesures pour rétablir la stabilité dans l’est du pays. Mais celles-ci ont eu des résultats limités.

Premièrement, il a permis à certains pays voisins, comme l’Ouganda et le Burundi, d’opérer à nouveau militairement dans l’est du pays. Un choix controversé pour de nombreux Congolais, compte tenu de l’implication de l’Ouganda dans le pillage des ressources naturelles congolaises pendant la Seconde Guerre du Congo. Cette politique, et notamment la présence de militaires ougandais sur le sol congolais, a été accusée par le groupe de recherche congolais Ebuteli d’avoir ravivé la rébellion du M23 en 2022. La présence de ces troupes étrangères en RDC était considérée comme une menace aux intérêts rwandais.

Deuxièmement, Tshisekedi a déclaré la « loi martiale » dans les provinces en conflit du Nord-Kivu et de l’Ituri, dans lesquelles l’armée a repris l’autorité civile. Mais cela aussi s’est avéré inefficace. La violence s’y est intensifiée. Et comme l’ont montré Amnesty International et Human Rights Watch, l’armée a abusé des pouvoirs de la loi martiale pour intensifier la répression en ciblant l’opposition dans ces provinces.

Troisièmement, une série d’autres interventions militaires ont été autorisées. Mais celles-ci ont elles également connu un succès limité.

Elles comprenaient :

  • le déploiement de 1 000 mercenaires roumains, dirigés par un ex-légionnaire roumain dirigeant sa propre entreprise militaire privée. Ils étaient spécifiquement engagés pour combattre le M23 ;
  • une collaboration avec des groupes d’autodéfense locaux et des groupes armés existants, dont beaucoup avaient été combattus par l’armée congolaise. Ces combattants sont appelés Wazalendo (patriotes en kiswahili). Cela aussi visait spécifiquement à vaincre le M23 ;
  • le déploiement d’une force de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). À la mi-février 2024, il a été annoncé que l’Afrique du Sud enverrait 2 900 soldats supplémentaires dans le pays. Il s’agit de la dernière d’une série d’organisations régionales qui se sont impliquées dans la tentative de résolution du conflit depuis l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi. D’autres incluent la Communauté d’Afrique de l’Est, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et l’Union africaine.

Dans l’ensemble, ces initiatives et accords ont donné des résultats limités et n’ont guère contribué à modifier la détérioration de la situation humanitaire dans le pays.

Depuis octobre de l’année dernière, le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays s’est élevé à 6,9 millions, le nombre le plus élevé jamais enregistré.

Le rôle de l’Occident

Les récentes manifestations profitent dans une certaine mesure au gouvernement Tshisekedi, en lui permettant de rejeter la faute sur l’Ouest.

Il n’a échappé à personne que le gouvernement est resté relativement tolérant à l’égard des manifestations. Les manifestations anti-occidentales ont pu se poursuivre pendant plusieurs jours, avec une mobilisation publique sur les réseaux sociaux. Cette situation est nettement différente de la réponse apportée aux autres manifestations publiques récentes. Les manifestations de l’opposition contre les résultats contestés des élections de décembre ont été interdites ou rapidement stoppées.

Dans le même temps, la colère de la population face au rôle de l’Occident dans la région a le mérite, à la fois de dénoncer son attitude protectrice envers le Rwanda et de la renvoyer à son apparente indifférence à l’égard de ce qui se déroule en RDC.

Premièrement, les manifestations s’appuient sur des frustrations de longue date à l’égard de la force de maintien de la paix des Nations Unies dans le pays, mieux connue sous son acronyme MONUSCO. La MONUSCO a historiquement eu un problème majeur de crédibilité en RDC en raison de son bilan épouvantable en matière de protection de la population civile. Cette frustration a conduit, à plusieurs reprises, à de violentes manifestations contre l’ONU dans le pays.

Deuxièmement, un certain nombre d’initiatives diplomatiques occidentales ont contribué à consolider l’idée selon laquelle la politique occidentale dans la région n’avait pas à cœur les intérêts des Congolais. En décembre 2022, l’Union européenne a annoncé sa décision d’accorder 20 millions d’euros (environ 21,6 millions de dollars) à l’armée rwandaise pour ses opérations militaires au Mozambique. À cette époque, de nombreuses preuves attestaient du soutien du Rwanda au M23. L’initiative a donc été comprise par l’opinion publique congolaise comme un soutien européen direct au M23.

Les initiatives diplomatiques ultérieures visant à réparer les dégâts, comme l’octroi du même montant d’aide européenne à l’armée congolaise, n’ont guère changé cette perception.

Il est également vrai qu’il y a eu un manque d’attention mondiale, y compris occidentale, vis-à-vis de la crise congolaise. Une raison directe de ces protestations était que lors de la récente demi-finale de la Coupe d’Afrique des Nations (que la RDC a jouée contre la Côte d’Ivoire), les manifestations anti-guerre des supporters congolais dans le stade n’avaient pas été diffusées. Même s’il appartient à la Confédération africaine de football de permettre de telles diffusions, en RDC, la décision aurait été prise par la chaîne de télévision française Canal+. Cela a été considéré comme une autre illustration de l’attitude occidentale à l’égard du conflit au Congo. Cela a donné lieu à des attaques contre les points de distribution de Canal+ et à des manifestations contre l’ambassade de France.

Semblable à d’autres crises en Afrique subsaharienne, comme celles du Soudan ou de l’Éthiopie, la crise en RDC est particulièrement basse dans la hiérarchie de l’attention politique mondiale, en particulier à l’ouest. Les manifestations contre les symboles occidentaux à Kinshasa peuvent donc aussi être considérées comme des signaux de détresse : « nous sommes là aussi ».

Teria News avec The Conversation

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